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Loi « Habitat dégradé » : analyse du texte et opportunités pour les Epl

Publié le 19 avril 2024

La loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement apporte un certain nombre d’outils et renforce des dispositifs existants. Avec son partenaire conseil Caradeux Consultants, la FedEpl vous propose un article dédié au décryptage de ce texte d’importance pour les Epl engagées dans la rénovation du bâti privé.

La Soreqa, une des Epl expertes de la réhabilitation privée, intervient sur de nombreuses opérations complexes. Ici dans le cadre d’une OPAH-RU à Bagnolet.

Face à l’urgence de trouver une réponse législative aux problématiques des logements dégradés ou insalubres, plusieurs initiatives parlementaires avaient vu le jour (d’abord des rapports puis une proposition de loi). Condensées dans un projet de loi établi fin 2023 par le gouvernement, les solutions parlementaires préconisées dans ces travaux ont été récemment adoptées à l’issu d’un parcours législatif accéléré (une seule « navette »). La FedEpl s’était mobilisée et avait été auditionnée pour mettre en lumière le rôle des Epl en la matière et apporter des solutions concrètes. (Retrouvez notre article au moment de l’adoption de la loi). Plusieurs centaines d’Epl d’aménagement œuvrent en effet à la rénovation du bâti de tout type. Une poignée d’entre elles en ont fait leur spécialité (voir le panorama joint).

 

 

Pierrick Caradeux et son cabinet accompagnent une pluralité d’Epl, notamment dans leurs projets d’aménagement

Pierrick Caradeux, avocat associé et partenaire de la FedEpl (Caradeux Consultants), répond à nos questions sur ce texte volontairement technique qui a pour but de modifier certains dispositifs existants et dont les Epl peuvent directement se saisir.

L’article 2 de la loi étend le champ d’application des Opérations de Restaurations Immobilières (ORI). Pouvez-vous revenir sur cette extension, notamment sur l’inclusion de la « performance énergétique » du logement ou des immeubles ?

Pour mémoire, les ORI constituent un outil d’intervention sur les immeubles dégradés, visant jusqu’à présent à transformer les conditions d’habitabilité d’un immeuble (ou d’un ensemble d’immeubles). Elles sont engagées soit à l’initiative des collectivités publiques, soit d’un ou plusieurs propriétaires.

La loi du 9 avril 2024 vient compléter cette seule notion d’« habitabilité », trop floue, qui pouvait donner lieu à des interprétations trop restrictives notamment lorsque l’état de dégradation de l’immeuble était déjà trop avancé.

Les ORI auront désormais pour objectif supplémentaire de garantir la salubrité ou l’intégrité d’un ou plusieurs immeubles ainsi que la sécurité des personnes.

La loi fait également évoluer la nature des travaux permettant de conduire à cet objectif : il peut s’agir de travaux de remise en état, d’amélioration, de rénovation, de réhabilitation ou de démolition.

Les parlementaires ont d’ailleurs proposé qu’il soit précisé textuellement que, s’agissant des travaux de rénovation, cela inclut les travaux de rénovation énergétique lorsque cela conduit à une amélioration de la performance énergétique du logement ou des immeubles concernés.

Le champ d’application des ORI se trouve ainsi élargi, à la fois du fait de l’objectif poursuivi et des travaux réalisables, ce qui – selon l’exposé des motifs – devrait permettre « d’anticiper de plusieurs années le traitement des difficultés évitant ainsi un cycle de dégradation inéluctable ».

Cette possibilité d’utiliser des ORI à un stade plus précoce permettra de faire revenir su le marché locatif les immeubles classés F ou G au DPE.

(La FedEpl s’était fortement mobilisée concernant ce dispositif, en soulignant notamment la nécessité de conserver la notion d’habitabilité et d’inclure celle de performance énergétique, ndlr).

Les députés Lionel Royer-Perreaut et Guillaume Vuilletet, co-rapporteurs du texte à l’Assemblée nationale et familiers de l’économie mixte locale, partagent pour la FedEpl leur vision sur cette loi et en particulier sur les ORI.

Quelles sont les nouveautés en ce qui concerne les opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH) et les opérations de requalification des copropriétés dégradées (ORCOD) ?

La loi prévoit que les OPAH comme les ORCOD puissent justifier de l’exercice du droit de préemption urbain renforcé.

La loi instaure par ailleurs une procédure permettant à l’opérateur chargé de la mise en œuvre d’une ORCOD ou d’une opération de revitalisation du territoire (ORT) de demander au juge d’ordonner soit la division du syndicat des copropriétaires, soit la création d’un ou plusieurs syndicats secondaires. L’objectif de cette mesure est de déconcentrer la prise de décision au niveau de gestion le plus pertinent et, si besoin, d’isoler les immeubles les plus en difficulté de ceux pouvant faire l’objet de mesures de redressement.

Concernant les seules ORCOD, la loi prévoit que :

  • La prise de possession anticipée (qui n’existait jusqu’à présent que pour les ORCOD d’intérêt national) soit possible dans le cadre d’une procédure d’expropriation ;
  • La procédure intégrée de mise en compatibilité des documents d’urbanisme soit étendue aux opérations de requalification de copropriétés dégradées.

La loi précise, enfin, que les ORCOD peuvent inclure des monopropriétés.

L’article 9 crée un nouveau dispositif d’expropriation des immeubles indignes à titre remédiable. Les Epl concessionnaires d’aménagement sont visées. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Jusqu’à présent, l’expropriation n’était possible qu’en cas de péril « à caractère irrémédiable ». Ce dispositif était critiqué par les acteurs locaux contraints d’attendre que le bien soit dans un état de dégradation avancé pour agir. Le projet de loi prévoit de créer une nouvelle procédure d’expropriation des immeubles insalubres ou dégradés dont la dégradation est remédiable et ce, afin d’anticiper de plusieurs années le traitement de l’insalubrité.

Selon l’exposé des motifs, il s’agit de permettre « une remise sur le marché plus rapide des logements en évitant les coûts financiers et écologiques d’un processus de démolition-reconstruction ».

Bien entendu, compte tenu de l’atteinte au droit constitutionnel de propriété, cette expropriation est très encadrée et fait l’objet d’un régime spécifique dérogatoire aux règles générales de l’expropriation. Il faut notamment que l’immeuble ait fait l’objet, au cours des dix dernières années, d’au moins deux arrêtés de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité qui n’ont pas été intégralement exécutés par le propriétaire ou qu’un plan de relogement et le cas échéant d’hébergement soit établi.

La loi prévoit expressément que cette procédure d’expropriation puisse être engagée par le concessionnaire d’une opération d’aménagement (art. L300-4 CU) ou par le titulaire du nouveau contrat de concession spécifique aux copropriétés dégradées (art. L.300-10 CU).

L’émergence et la réalisation de nouvelles opérations de réhabilitation et de requalification devraient être facilitées par ce nouvel outil, dont les Epl, concessionnaires d’aménagement, pourront s’emparer.

Une Epl peut-elle être désignée « syndic d’intérêt collectif » afin d’intervenir pour gérer les copropriétés en difficulté ? (article 20)

La loi prévoit que les préfets de département puissent délivrer à certains syndics un agrément de « syndic d’intérêt collectif », leur donnant compétence pour intervenir dans les copropriétés faisant l’objet des procédures prévues aux articles 29-1 A et 29-1 de la loi du 10 juillet 1965 (copropriétés qui sont sous mandataires ad hoc ou sous administration judiciaire provisoire).

Cet agrément sera délivré pour une durée de cinq ans, au regard notamment de la capacité et des compétences du syndic à accomplir cette mission.

Il est expressément prévu que les Sociétés d’économie mixte agréées logement social (ainsi que les organismes d’habitations à loyer modéré) peuvent, à leur demande expresse, se voir reconnaitre de droit la qualité de syndic d’intérêt collectif, sans se soumettre à la procédure d’agrément.

Quels sont les principales implications juridiques pour les Sem bailleurs sociaux, en termes de rénovation de leur parc et d’intervention sur l’habitat dégradé ?

Le projet de loi aborde le sujet de l’habitat dégradé davantage sous l’angle des mesures publiques susceptibles d’être prises pour anticiper et résorber l’habitat dégradé, plutôt que sous l’angle des obligations incombant aux bailleurs, sociaux ou non d’ailleurs. La loi ne crée donc pas directement, pour les Sem bailleurs sociaux, d’implications en termes de rénovation ou d’intervention sur l’habitat dégradé. Ce n’est donc qu’une fois la mesure publique adoptée que le bailleur aura indéniablement un rôle à jouer. Il est à noter que la loi élargit sensiblement le champ d’intervention de l’Association foncière logement (AFL), filiale du groupe Action logement.

La loi crée un nouveau type de concession d’aménagement en matière de rénovation des bâtiments (article 21). Quel changement juridique et quelles opportunités pour les Epl agissant dans ce domaine ?

La loi instaure en effet un nouveau régime de concession pour le traitement des copropriétés dégradées. La concession d’aménagement, telle qu’on la connaît (L300-4 CU), ne peut en effet être mobilisée que pour réaliser une opération d’aménagement. Or, toutes les actions nécessaires aux OPAH, plans de sauvegarde ou ORCOD ne constituent pas des opérations d’aménagement. A défaut de pouvoir mobiliser la concession d‘aménagement, les acteurs pouvaient avoir recours aux concessions de services et de travaux classiques, qui ne constituent pas des outils sécurisés juridiquement pour traiter de l’habitat dégradé.

C’est pour cela que la loi prévoit un nouveau type de concession d’aménagement permettant de répondre aux difficultés rencontrées par les acteurs locaux pour mener à bien les actions de portage nécessaires à la réalisation des ORCOD, plans de sauvegarde ou OPAH. Cette concession sera conclue dans les mêmes formes que les concessions d’aménagement classiques prévues aux articles L.300-4 et L.300-5 du code de l’urbanisme. Elle pourrait être conclue entre les collectivités et les opérateurs ayant vocation à réaliser des actions nécessaires :

  • au traitement d’un immeuble  (d’un îlot ou ensemble cohérent d’îlots comprenant un tel immeuble) faisant l’objet d’un arrêté de police de traitement de l’insalubrité ou de mise en sécurité ;
  • à une OPAH ;
  • à un plan de sauvegarde ;
  • ou à une ORCOD.

La concession devra déterminer les actions ou les opérations, notamment foncières ou immobilières, à réaliser ainsi que les conditions d’acquisition, de cession et, le cas échéant, de démolition, de construction, de réhabilitation et de gestion des logements, des locaux ou des équipements concernés.

Cette mesure de clarification des relations contractuelles avec les collectivités locales devrait donc grandement favoriser l’engagement des Epl pour le traitement des situations d’habitat dégradé.

Le texte comporte-t-il des dispositions spécifiques pour la lutte contre l’habitat indigne en Outre-mer ? (articles 15, 16, 51 et 54)

Oui. Le texte modifie notamment la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne dans les départements et régions d’Outre-mer. Rappelons que dans les secteurs d’habitat informel, le représentant de l’État dans le département, peut définir, par arrêté, un périmètre d’insalubrité (qui concerne des locaux, installations ou terrains, utilisés pour l’habitation mais qui sont impropres à cette fin pour des raisons d’hygiène, de salubrité ou de sécurité). De la même façon, le Préfet peut intervenir par arrêté, toujours en secteur d’habitat informel, pour remédier à une insalubrité ponctuelle (procédure propre aux les locaux à usage d’habitation dont l’état constitue un danger pour la santé ou la sécurité des occupants ou des voisins et dont le « logeur » n’est pas titulaire de droits réels immobiliers sur le terrain d’assiette du bâtiment).

La loi prévoit que dans le cadre de l’une et l’autre de ces procédures, la consultation préalable, pour avis, de la commission départementale compétente en matière d’environnement, de risques sanitaires et technologiques (CODEREST) n’est plus obligatoire comme c’était déjà le cas sur le territoire métropolitain depuis 2020.

En Guyane et à Mayotte, pour lutter contre l’extension des bidonvilles, les préfets peuvent désormais ordonner la démolition d’un local ou d’une installation sans droit ni titre construit depuis moins de 96 heures (au lieu de 24 heures précédemment).

Toujours en Guyane et à Mayotte, un décret en Conseil d’État arrêtera une liste de constructions nouvelles de logements qui, en raison des conditions de la maitrise d’ouvrage et de leurs caractéristiques, ne nécessiteront qu’une déclaration préalable en lieu et place d’un permis de construire.

Enfin la loi prolonge jusqu’en 2038 le régime dérogatoire mis en place par la loi du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en Outre-mer et procède à certains ajustements visant à rendre plus effectifs les dispositifs permettant de sortir de cette indivision.

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Par Léopold SANCHEZ-VILLAESCUSA
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