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Une synthèse des pistes pour financer les conséquences du recul du trait de côte

Publié le 11 avril 2024

La mission lancée voici un an par l’Etat pour définir un modèle de financement vient de rendre son rapport, afin d’accompagner la recomposition spatiale des territoires littoraux. Ces derniers connaissent une pression du recul du trait de côte. L’Inspection générale de l’administration (IGA) et l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) ont réalisé un inventaire et une évaluation de la valeur des biens menacées en métropole et en outre-mer. Deuxième objectif de la mission : évaluer le besoin de financements pour l’acquisition et la remise en état des zones affectées, puis la recomposition en rétro-littoral. Et ce dans un contexte où les programmes d’action privilégient une gestion du littoral fondée sur la nature, mettant ainsi en avant de nouveaux usages plutôt que des actions allant contre la mer.

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

Avant tout chose, l’IDA et l’IGEDD se sont attachés à mesurer ce qui doit être financé dans le cadre du recul du trait de côte. Ils ont donc émis des hypothèses sur des biens menacés à moins de 5 ans, à 30 ans et à échéance de 100 ans pour parvenir à un inventaire. Attardons-nous sur les chiffres à 30 ans, « le choix politique le plus probable » pour l’IDA et l’IGEDD. En 2050, sous couvert que les ouvrages existants de protection contre l’érosion sont entretenus et maintiennent leur rôle à court/moyen terme le temps de concevoir et mettre en oeuvre une recomposition territoriale, le nombre de locaux menacés s’élève à 8 200. Sur ces 8 200 biens, on compte 5 200 logements, pour une valeur estimée à 1,1 milliard d’euros.  A noter que les 5 départements d’outre-mer comptabilisent, à eux seuls, 29 % des résidences principales menacées.

Si l’on s’intéresse aux locaux d’activités (hors équipements publics), leur nombre est d’environ 1 400, avec une valeur des bureaux et des commerces estimée à 120 millions d’euros. Les locaux directement liés à l’activité touristique représentent, quant à eux, 60 % des bâtiments menacés. En outre, près de 117 campings sont touchés, soit 716 hectares d’emprise totale. Les superficies qui rejoindront le domaine public maritime sont ainsi évaluées à 761 hectares urbanisés et 7 200 hectares naturels, agricoles et forestiers. Sur ce volet, afin de réactualiser régulièrement l’indicateur national du trait de côte et la cartographie nationale des ouvrages et aménagements côtiers, l’IDA et l’IGEDD recommandent de renforcer le travail de coordination engagé avec les scientifiques et les observatoires. Cet ensemble forme en effet la base pour un futur outil de recensement des biens menacés.

Fait intéressant : un croisement de la liste des 59 communes qui ont plus de 30 locaux menacés a été fait avec la liste des communes inscrites sur le « décret-liste » du 20 avril 2022 (modifié) de la loi Climat et résilience, mais aussi avec l’existence de PPR littoraux. Sur ces 59 communes, seules 20 ont délibéré en faveur d’une inscription au décret-liste et 23 ont un PPR. En outre, 26 communes sur les 59 n’ont ni PPR littoraux, et ne sont ni inscrites dans le décret-liste. Les Alpes Maritimes, le Var et la Corse concentrent 21 de ces 26 communes. En conséquence, la mission recommande, pour les communes à plus forts enjeux, et tout particulièrement pour celles n’ayant aucun PPR littoraux, l’inscription d’office au décret-liste.

Une dotation financière versée en contrepartie de la cession du logement à la commune

L’IDA et l’IGEDD ont aussi planché sur de possibles indemnisations des biens menacés. Les deux Inspections proposent un dispositif de solidarité nationale fondé sur deux principes. D’une part, l’exclusion de toute solidarité nationale dès lors que l’achat du bien a été effectué en toute connaissance du risque d’érosion. D’autre part, une solidarité nationale qui s’adresse aux seuls propriétaires occupants de résidences principales. Ces derniers bénéficieraient d’un accompagnement leur permettant de faire face à la perte inéluctable de leur bien.

Le soutien de l’Etat prendrait la forme d’une dotation financière, modulée selon leurs ressources et leur niveau de connaissance du risque au moment de l’achat. Il s’agirait de vérifier l’existence d’un PPR par exemple ou d’une carte communale en projet. Cette dotation financière, qui serait versée en contrepartie de la cession du logement à la commune, ne dépasserait jamais 70 % de la valeur vénale du bien. Elle serait, en outre, plafonnée selon les conditions d’intervention du fonds Barnier. A noter que les inventaires du Cerema à 2025 et le calibrage des règles d’accompagnement proposées par l’IDA et l’IGEDD conduisent à une évaluation à 250 millions d’euros sur les 25 prochaines années.

Le fonds vert financera la prévention des risques

En termes de soutien aux collectivités, les financements et ressources peuvent passer par des dispositifs existants. Les opérations d’aménagement et les équipements publics locaux bénéficient de multiples dispositifs de co-financement. Deux programmes du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires sont mobilisables, à savoir le programme 135 (urbanisme, territoires et amélioration de l’habitat) qui cofinance les PPA.

De son coté, le programme 380 (fonds verts) vise à financer la prévention des risques naturels. A noter que le Fonds de prévention des risques naturels majeurs ne peut pas intervenir au titre de l’érosion côtière, mais il peut cofinancer des études et des travaux sur les ouvrages de protection si l’objet premier est la prévention des submersions marines. De son côté, le Plan tourisme (2022-2024) dispose de 4 millions d’euros pour relocaliser les campings exposées à l’érosion.

La TSE a produit 123 millions d’euros pour les EPF en 2023

En ce qui concerne les financements et soutiens « opérateurs », l’Agence de financement des infrastructures de transport de France intervient via une convention avec la DGALN depuis 2006. Elle consacre 5 millions d’euros par an pour la gestion intégrée du trait de côte, couvrant les travaux de restauration, de protection ainsi que les opérations pour améliorer les connaissances sur cette problématique. Si les Agences de l’eau cofinancent les équipements publics relatifs à la gestion de l’eau et à l’assainissement, le BRGM, le CELRL, le Cerema, l’IGN ou encore l’ONF contribuent eux aussi à l’acquisition de connaissances et aux travaux de restauration des milieux.

Côté EPF, ils bénéficient de la taxe spéciale d’équipement (TSE) pour financer les acquisitions foncières et assurer le portage. En 2023, la TSE prélevée pour les EPF littoraux s’élevait à 123 millions d’euros. Elle pourrait atteindre plus de 400 millions d’euros si le taux par habitant était porté au maximum autorisé. De leur côté, les EPCI à fiscalité propre peuvent lever la taxe Gemapi pour financer cette compétence. Les Fonds européens (Interreg, Feder, Horizon 2020, Lige), quant à eux, consacrent des montants significatifs. Problème : ils sont inégalement répartis sur le territoire au regard des difficultés d’ingénierie administrative de montage associés. Si la Banque des territoires et l’ANCT (l’AFD en outre-mer) apportent des moyens humains en matière de formation et d’ingénierie de projet, les PPA viennent formaliser les engagements des multiples partenaires ainsi que les plans de financements prévus.

Un marché public d’accompagnement avec un professionnel de l’immobilier

En matière de délocalisation des logements, l’IDA et l’IGEDD ont constaté une grande variété d’aides publiques au logement. Elles participeront aux soutiens publics à proposer aux résidents principaux des biens les plus menacés. Et ce, notamment en ce qui concerne les dernières annonces du gouvernement portant sur le rehaussement des plafonds du PTZ et sur l’élargissement du périmètre des zones tendues, y compris pour les communes littorales. Pour les autres dispositifs d’aides au logement, il n’existe pas à ce jour de prise en compte particulière du phénomène d’érosion du littoral pour favoriser, « en anticipation », de nouveaux projets de délocalisation des habitants en rétro-littoral. De plus, l’arrêt du Pinel amoindrit potentiellement la capacité d’offre de logements neufs à louer dans les zones tendues des communes littorales soumises à érosion. Elles devront pourtant recomposer une offre locative.

Quant à l’aide au relogement des locataires du parc privé dans les zones menacées, conformément à la loi, en cas d’arrêté de péril, la charge du relogement des locataires incombe au propriétaire bailleurs. En cas de carence, il incombera à la commune, auteur de l’arrêté de péril. Les carences des propriétaire bailleurs seront probablement plus nombreuses, d’où la nécessité d’un surcroit d’anticipation et de soutien des pouvoirs publics via des programmes immobiliers de relocalisation. Dans le contexte de l’érosion, l’IDA et l’IGEDD suggèrent que les propriétaires bailleurs soient accompagnés par la commune dans une démarche d’anticipation vis à vis de leur locataire. Elle pourrait, par exemple, disposer d’un marché public d’accompagnement avec un professionnel de l’immobilier. Il pourrait d’ailleurs être prévu une décote foncière supplémentaire pour accompagner les collectivités dans leurs actions de construction de logements sociaux en fonction des relogements nécessaires.

D’après l’IDA et l’IGEDD, « faute de recul », « il est délicat de tirer des conclusions sur l’utilité d’un alourdissement global de la fiscalité locale pour offrir des ressources nouvelles au traitement de l’érosion, sans éviter des effets pervers/contre-productifs. Pas de propositions nouvelles donc mais une liste non-exhaustive des financements à disposition.

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Par Stéphane MENU
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