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Comment réconcilier stratégies industrielles et stratégies publiques locales

Publié le 8 mars 2024

A l’heure où la réindustrialisation de la France est annoncée tambour battant, une étude menée dans le cadre d’un partenariat entre le Puca et La Fabrique de l’industrie revient sur la problématique du foncier industriel. L’ouvrage intitulé « Foncier industriel et stratégies publiques locales : une articulation imparfaite » propose une mise en regard entre d’un côté, les besoins des industriels et de l’autre, les exigences des collectivités territoriales. Il esquisse plusieurs pistes pour favoriser le dialogue entre les deux parties et trouver des solutions gagnant-gagnant.

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

Programme Territoires d’industrie, mission nationale de mobilisation pour le foncier industriel conduite par le préfet Rollan Mouchel-Blaisot, projet de loi Industrie verte portée par Bruno Le Maire… le gouvernement cherche par tous les moyens à faciliter l’accès des industriels au foncier dans une double logique de compétitivité et de souveraineté économique. Or, « les besoins des entreprises sont-ils correctement appréhendés par les collectivités et les acteurs de l’immobilier d’entreprise ? ». C’est la question que pose l’ouvrage intitulé « Foncier industriel et stratégies publiques locales : une articulation imparfaite », co-écrit par Paulette Duarte, Sylvie Duvillard, Nicolas Gillio, et Thierry Petit et paru en février 2024 aux Presses des Mines, dans le cadre d’un partenariat entre le Puca et La Fabrique de l’industrie.

Pour mieux comprendre leurs attentes, les auteurs ont interrogé 26 entreprises relevant de l’activité productive (artisanat, industrie, logistique de proximité, activité technologique et scientifique…) et réparties entre l’Ile-de-France et le territoire de Valence Romans Agglo. Les services techniques de cette intercommunalité de la Drôme ont également été entendus, au même titre que ceux de l’EPT Est Ensemble et de l’EPT Boucle Nord de Seine, en région francilienne, ainsi que des opérateurs publics (Sem, EPF…) afin de mieux appréhender l’offre foncière et immobilière proposée pour maintenir des activités productives sur les territoires.

Manque de terrains pour l’industrie, cherté des fonciers

Plusieurs constats ressortent de ces entretiens. Côté entreprises, les personnes auditionnées relèvent deux problèmes structurels : le manque de terrains disponibles pour accueillir l’industrie et l’artisanat d’une part, et le prix croissant du foncier d’autre part. De plus, la proximité avec les clients et/ou la source d’approvisionnement, l’accessibilité routière, notamment pour les poids lourds, ou encore l’accessibilité pour la main d’œuvre arrivent en tête des préoccupations liées au choix d’implantation. Et ce, loin devant le prix d’acquisition ou le loyer, qui représente certes une contrainte de taille mais sur laquelle des compromis sont prêts à être faits. En revanche, la propriété apparait comme le mode d’occupation le plus plébiscité.

Industriels vs collectivités, pas les mêmes attentes

S’installer dans une ZAE plutôt que dans le tissu urbain ? C’est selon. Le risque de nuisances, et l’obligation de « consentir des investissements en insonorisation, en réduction des vibrations ou encore en traitement de fumées », et le besoin d’espaces de taille critique pour accueillir des activités de fabrication, de transformation, d’assemblage, de réparation ou de stockage n’encouragent pas les industriels à la mixité fonctionnelle. A contrario, certaines entreprises privilégient le tissu urbain existant pour profiter de l' »effet vitrine de la production en centre-ville » ou pour éviter de « sécuriser leur site dans un environnement monofonctionnel peu fréquenté la nuit ou le weekend ».

Côté collectivités, les attentes sont encore différentes. Les intercommunalités affichent en effet des objectifs de sobriété foncière, de densité urbaine, de mixité fonctionnelle, de développement de filières qui entrent en contradiction avec les ambitions des entreprises industrielles. Celles-ci regrettent aussi des délais administratifs inadaptés au temps de l’industrie, l’obligation parfois de traiter avec des promoteurs peu compétents en matière d’immobilier industriel, encore trop rivés sur un modèle de rendement propre à l’immobilier tertiaire, ou la multiplication des intermédiaires entre collectivités et entreprises, source de malentendus et d’incompréhensions.

Zoom sur les 3 territoires étudiés

– EPT Boucle Nord de Seine : Marqué par la présence de sièges sociaux, le territoire continue d’assurer un avenir aux activités de production, concentrées sur quelques pôles (port de Gennevilliers, Argenteuil, Villeneuve-la-Garenne). Faute de maîtrise foncière par les collectivités, ce sont surtout les opérateurs privés qui sont à la manœuvre (ex : à Argenteuil, le 116 porté par le promoteur-investisseur Bricqueville ; le parc d’activités Urban Valley développé par la société foncière privée Atland ; projets de Nexity et BNP Real Estate à Gennevilliers ; Eco City Parc de JLL à Colombes). On trouve de plus en plus d’opérations mixtes mêlant ateliers de production en rez-de-chaussée et bureaux à l’étage, ou inversement. Toutefois, on observe un glissement vers des activités de service et d’ingénierie où la dimension productive (transformation et production) occupe une proportion limitée des surfaces.
– EPT Est Ensemble : Face à la pression foncière et à la demande croissante de logements, les terrains à usage économique se réduisent. L’immobilier d’entreprise reste toutefois dominé par l’immobilier de bureau. De son côté, l’offre foncière et immobilière pour les activités productives arrive à se maintenir mais semble limitée, tournée principalement vers les entreprises du luxe et de l’art. Est Ensemble essaie depuis plusieurs années de reconstituer une offre dédiée aux activités productives grâce à la mutation du foncier (ex : implantation d’Innovespace Romainville sur une ancienne friche pharmaceutique, reconversion d’un site de fabrication de batterie à Noisy-le-Sec en pôle d’activités ESS, requalification à l’étude de la zone industrielle des Vignes à Bobigny…).
– Valence Romans Agglo : L’intercommunalité développe une stratégie forte de maîtrise foncière, à travers le développement de 57 ZAE qui restent, sur ce territoire plus détendu, des zones d’accueil privilégiées des activités productives même si des transactions s’opèrent aussi hors ZAE. Cette offre foncière a donc l’avantage d’être encadrée par la collectivité locale (destination du PLU, régulation du prix). Après des décennies de pratiques extensives des ZAE, l’agglomération travaille aujourd’hui à rendre ces zones plus compactes et plus compatibles avec l’objectif de ZAN. Cela passe notamment par la requalification de friches, par le développement de villages d’entreprises TPE/PME avec des espaces mutualisés et des formes plus compactes ou par la transformation de la Sem In Situ en un outil de portage financier capable de servir l’aménagement de terrains d’activité et la valorisation d’immobilier d’entreprise.

Des préconisations pour réduire les décalages

De fait, il y a un réel décalage entre l’offre produite localement et la demande des entreprises qu’elles soient industrielles, artisanales ou logistiques. Les intérêts des entreprises, des collectivités et des acteurs de l’immobilier sont-ils pour autant irréconciliables ? Non, veulent croire les auteurs. Des marges de manœuvre existent, à commencer par le renforcement du dialogue entre les différentes parties prenantes. L’absence de dispositif de « gouvernance qui place le foncier productif au cœur [des] préoccupations » des acteurs publics et privés figure d’ailleurs comme le principal dénominateur commun aux trois territoires étudiés, même si l’EPT Boucle de Nord de Seine est en train de mettre en place un Schéma d’accueil des entreprises (SAE). Mais avant toute chose, il faudrait déjà qu’à l’intérieur même des collectivités, les acteurs des services économiques collaborent davantage avec les acteurs des services d’urbanisme et d’aménagement.

Une autre solution évoquée par les auteurs repose sur un « urbanisme transitoire permanent pour tester l’implantation d’activités productives, maîtriser les prix, avec un portage économique par la collectivité ou un acteur intermédiaire, sur un temps long. Cela reviendrait à sanctuariser un foncier en disponibilité permanente » notent-ils. Enfin, la question de la densité verticale mériterait d’être davantage creusée, à l’image du bâtiment industriel Mozinor construit dans les années 1970 à Montreuil ou d’usines allemandes de production de pâtes sur 4 étages.

Voilà quelques premières pistes à mettre en œuvre rapidement à l’heure où l’impératif de réindustrialisation impose de trouver 22 000 hectares à horizon 2030.

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Par Cadre de Ville
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