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Lutte contre l’artificialisation des sols : les députés dégainent leur proposition de loi

Publié le 3 juin 2025

Le 20 mai dernier, les députées Sandrine Le Feur et Constance de Pélichy ont présenté une proposition transpartisane baptisée « Réussir la transition foncière ». Crédit d’impôt pour la remise sur le marché de logements vacants, taxation renforcée des friches industrielles et commerciales, réforme de la procédure des biens sans maître ou encore nouvelles dérogations aux règles d’urbanisme en faveur de la densification sont au menu de ce nouveau texte, qui percute directement la proposition de loi « Trace » des sénateurs Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier, adoptée en mars dernier à la Chambre haute. Une multiplication des textes – le quatrième en 4 ans autour du ZAN – qui ne va pas dans le sens d’une stabilité normative, pourtant réclamée par les collectivités et les porteurs de projet.

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.
Deux propositions de loi en concurrence

Coup de tonnerre, le 20 mai 2025, les députées Sandrine Le Feur (groupe Ensemble pour la République) et Constance de Pélichy (groupe Liot) ont déposé, aux côtés d’autres cosignataires, une proposition de loi transpartisane dont le titre annonce la couleur : « Réussir la transition foncière. »

Un texte non encore publié sur le site de l’Assemblée nationale, mais que Cadre de ville a pu consulter.

Cette proposition de loi s’inscrit dans le droit fil de la mission d’information sur l’artificialisation des sols que les deux députées ont pilotée à l’Assemblée nationale, et dont les conclusions ont été rendues publiques le 9 avril 2025 

La trentaine de propositions formulées il y a près de deux mois prennent aujourd’hui corps au sein de cette proposition de loi composée de 23 articles.

Bien évidemment, ce texte entre directement en concurrence avec la proposition de loi sénatoriale appelée « Trace » (pour « Trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux »), adoptée à la Chambre haute le 18 mars 2025.

Dans une lettre ouverte adressé au Premier ministre François Bayrou le 22 mai 2025, les sénateurs Jean-Baptiste Blanc (groupe Les républicains) et Guislain Cambier (groupe Union centriste), initiateurs de la PPL Trace, s’émeuvent de ce télescopage.

À leurs yeux, « Cette initiative parlementaire ajoute du flou et du doute dans l’esprit des élus locaux, déjà confrontés à un cadre instable. À vouloir multiplier les textes, sans construire une véritable trajectoire claire et concertée, nous risquons d’aggraver la confusion. »

Et ils appellent à ce que leur proposition de loi puisse poursuivre son examen parlementaire et être inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

Ils concluent leur courrier en interpellant vigoureusement le Premier ministre : « Ne transformez pas un texte de consensus en un symbole de votre immobilisme. Ne laissez pas une proposition de bon sens mourir dans les tiroirs de Matignon. Trace n’est pas une option, c’est une nécessité ! ».

Le ton est donné.

Au-delà de cette passe d’armes, les deux textes divergent dans leur esprit et leur contenu.

Consolider les ambitions initiales du ZAN en les adaptant

La proposition de loi des députés entend consolider les ambitions initiales du ZAN, définies par la loi Climat de 2021.

Pour ce faire, elle ne revient pas sur les objectifs intermédiaires de réduction de moitié du rythme de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf), à l’inverse de la proposition de loi sénatoriale.

Elle maintient donc la première tranche du 1er janvier 2021 au 1er janvier 2031, et en introduit une seconde de 2031 à 2041, où la consommation totale d’Enaf devra être inférieure à la moitié de celle observée sur la période 2021-2031 (article 1er de la PPL).

Il s’agit, en réalité, d’un report du décompte de l’artificialisation des sols, au réel, à compter de 2041.

L’article 2 de la proposition de loi prévoit, quant à lui, une mutualisation de droit de la garantie communale, sauf délibération contraire et motivée de la commune rurale éligible.

Et l’article 3 modifie la composition des conférences régionales de gouvernance pour la rendre similaire à celle des anciennes conférences régionales des schémas de cohérence territoriale (SCoT).

Toutefois, pour les régions ayant déjà adopté un Scot intégrant les objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols, la conférence régionale existante serait reconduite à l’identique pour ne pas compromettre les travaux déjà entrepris.

Une sécurité importante, dès lors que près de 60 % des SCoT ont déjà débattu leur projet d’aménagement stratégique qui intègre l’objectif ZAN, nous apprend la Fédération nationale des Scot dans un récent communiqué de presse.

Vers une refonte de la fiscalité

Là où le texte de l’Assemblée nationale se distingue le plus de la PPL Trace, c’est dans ses dispositions fiscales.

Le nouveau cadre fiscal proposé par les députés ne se retrouve pas, en effet, dans la PPL des sénateurs, qui ont fait le choix de traiter ce sujet ultérieurement.

Ici, les articles 5 à 17 s’emploient à revoir le cadre fiscal existant pour donner aux élus des ressources leur permettant de mettre en œuvre le ZAN.

Et c’est la politique de la carotte et du bâton qui est explorée.

Dit autrement, les actions qui encouragent l’artificialisation seraient taxées, tandis que celles qui valorisent la sobriété foncière se verraient encouragées.

Tout d’abord, l’article 5 supprime l’exonération temporaire de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les constructions nouvelles.

De son côté, l’article 6 transforme la taxe d’aménagement en un outil de sobriété foncière.

Par exemple, cette taxe serait augmentée pour les aménagements consommateurs d’espaces, avec un taux spécifique pouvant atteindre 50 % pour les secteurs urbanisés situés sur des Enaf.

Les recettes générées financeraient les actions de lutte contre l’artificialisation (protection des sols, renaturations…).

Ensuite, il est proposé de généraliser l’application de la taxe sur les friches commerciales sur tout le territoire pour dissuader les propriétaires de leur non-utilisation. Idem pour les friches industrielles.

La taxe sur les surfaces commerciales serait étendue aux entrepôts logistiques et aux aires de stationnement des grandes surfaces.

En parallèle, une refonte des taxes sur les plus-values des terrains devenus constructibles est envisagée.

De plus, l’article 13 de la proposition de loi fusionne la taxe sur les logements vacants et la taxe d’habitation sur les logements vacants en une taxe locale facultative, dont les recettes seraient directement versées aux collectivités territoriales.

Toujours dans cette logique de lutte contre la vacance, une majoration progressive de la taxe d’habitation sur les résidences secondaires serait instaurée, tandis que l’article 21 du texte prévoit la création d’un crédit d’impôt des dépenses engagées pour la réhabilitation et la remise sur le marché de logements vacants.

À noter, enfin, un allongement de la durée d’exonération de l’imposition des plus-values immobilières des cessions réalisées au profit d’un cessionnaire qui s’engage à construire des logements sociaux.

Des outils renouvelés à la main des maires

La proposition de loi ambitionne de donner des marges de manœuvre nouvelles aux maires, tout en renforçant leur accompagnement technique (titre III du texte).

Ainsi, un nouveau droit de préemption pour les collectivités territoriales serait créé sur les Enaf lorsque l’acquisition des terrains permet de favoriser l’atteinte des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols.

La généralisation du sursis à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme est aussi envisagée.

Par ailleurs, l’article 20 du texte permet le recours à la procédure de bien sans maître pour les successions ouvertes depuis plus de 10 ans, contre 30 ans actuellement.

Le droit de l’urbanisme et le droit de l’environnement ne sont pas oubliés.

Ainsi, l’article 22 de la proposition de loi assouplit les règles d’urbanisme pour favoriser la densification et permettre aux collectivités territoriales de fixer une densité minimale dans les PLU.

Des dérogations aux règles d’urbanisme pour des projets de réemploi des friches sont, en outre, proposées.

Pour terminer, l’article 23 du texte simplifie les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de la maison-mère pour la réhabilitation d’un site pollué par une de ses filiales défaillantes.

Reste maintenant à savoir quand ce texte pourra être inscrit à l’agenda de l’Assemblée nationale, et quelle proposition de loi le gouvernement soutiendra, « Réussir la transition foncière » ou « Trace » ?

Quoi qu’il en soit, les mesures fiscales de la proposition de loi des députés devraient nourrir le futur projet de loi de finances pour 2026.

Par Cécile CONSIGNY
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