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Simon Teyssou, Grand Prix de l’Urbanisme 2023 : une leçon de ruralité

Publié le 23 juin 2023

Dans « une période de reflux », l’heure est à la réparation et non plus à la croissance. S’impose alors « un urbanisme de fragments », y compris dans les territoires métropolitains, et « un urbanisme de la soustraction ». Nous avons à apprendre des ruralités et des petites centralités, au compte de tout projet d’aménagement, défend le fondateur de l’Atelier du Rouget, désigné Grand Prix National de l’Urbanisme 2023 ce 13 juin. Notamment, note ce cantalou, également directeur de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand, lui dont nombre de projets sont situés à Aurillac, dans un texte paru fin 2022, le travail en ruralités porte des questionnements stimulants et un engagement responsable. Et d’en appeler à se tourner vers cet « horizon transversal », qu’offre l’enjeu des ruralités. A ne pas prendre au pied de la lettre donc et éviter le contresens. Il s’agit bien d’une source d’inspiration pour travailler d’abord et avant tout pour les habitants déjà-là, pas pour une « vile de demain » fantasmée.

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Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

« C’est la fin des grands projets », faisait remarquer Simon Teyssou, fondateur de l’Atelier du Rouget, lors des Entretiens de l’Aménagement 2022. Avant de demander : « Pour qui on agit ? Pour des habitants ordinaires. Le problème, c’est que les aménageurs pensent aux habitants du futur. Or, je crois qu’il faut d’abord penser aux habitants du déjà-là ». En ce sens, le nouveau directeur de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Clermont-Ferrand n’hésite pas à exhorter les professionnels à déménager et à s’installer dans les espaces périurbains ou ruraux.

Pourquoi la ruralité ? Simon Teyssou explique que, alors que « les concentrations métropolitaines montrent des limites », les enjeux actuels (de l’urbanisme) « font des ruralités et des petites centralités des matrices de questionnement stimulants et d’engagement responsable ».
Son propos ne consiste pas à vouloir se tourner vers les ruralités comme vers « un objet circonscrit d’études », mais au contraire comme un « horizon transversal ». Le « pluriel des ruralités » conduit à cultiver « une multiplicité d’approches pour ne pas s’enfermer dans une unique voie dogmatique ».

Dans les secteurs eux-mêmes de la ruralité, auxquels sont confrontés les projets que portent les étudiants de l’ENSACF, Simon Teyssou relève une fracture entre les aires d’influence des grandes métropoles et des circuits touristiques, d’une part, et, d’autre part, des territoires « dans un état critique » notamment dans les bassins ruraux peu attractifs, en déprise économique ou démographique, qui se traduisent par la déshérence de petites centralités. Et de décrire une « situation critique » aggravée par le rôle – y compris culturel et social – de l’automobile. S’y combine une équation économique de la construction qui rend peu désirable l’habitat contraint des centres-bourgs où sont absents les promoteurs, et les bailleurs sociaux : contraint par le ZAN et par le renchérissement des coûts de construction, le marché de la maison neuve est en train d’être remplacé, analyse Simon Teyssou, par celui de la maison individuelle d’occasion, au fur et à mesure de la disparition des baby-boomers.

Un « urbanisme de fragments »

En s’appuyant sur un rapport de proximité avec la maîtrise d’ouvrage et l’ensemble des acteurs locaux, il compense la modestie des moyens dont disposent les territoires ruraux par une plus grande souplesse d’intervention et une efficacité des prises de décisions. Partant de commandes ponctuelles, il déploie progressivement son action en mobilisant, détournant et adaptant les outils issus des grandes opérations d’aménagement. Il en appelle notamment à « un urbanisme de fragments ». « Le temps n’est plus aux performances d’un urbanisme durable incarné par de grands projets, mais à la redécouverte du monde présent », revendique-t-il.

La pratique de l’Atelier du Rouget combine des interventions dans les différents types territoires. Armé d’une méthode pragmatique et souple, Simon Teyssou a pu proposer un référentiel pour les espaces publics à Aurillac en articulation avec le programme Action Cœur de Ville. Sa proposition de schéma directeur informel pour la commune du Rouget, qui réhabilite la mairie et conçoit un réseau de chaleur urbain, en est l’illustration.

Un « urbanisme de soustraction »

Mais cette approche pragmatique conduit également le nouveau Grand Prix d’urbanisme à des positions radicales. Notamment, celle de pratiquer « un urbanisme de soustraction » dans les communes en crise. On a déjà entendu notamment un François Leclercq formuler des préconisations sur le thème des « villes qui rétrécissent » dans le Grand Est lorrain en particulier – les shrinkings cities. Comment un pays vieillissant comme la France pourrait-il éviter la question ?

« Si l’idée commune que l’on se fait de l’urbanisme revient à l’action d’aménager, écrit Simon Teyssou, la qualité d’un projet peut aussi résider dans la déconstruction qu’il opère ». Après les flux considérables qu’a eu à gérer l’urbanisme aux 19e et 20e siècles, pour Simon Teyssou, « tout indique que nous inaugurons une période de reflux ». Pour l’architecte-urbaniste de tout juste 50 ans, un « récit alter urbain » impose aujourd’hui , non à croître encore, de travailler à la réparation et à la transformation des territoires anthropisés de l’urbanisme diffus – ce qu’un Jean-Marc Offner pouvait nommer « s’occuper de étalés ».

Dans cette hypothèse, les projets se feraient par fragments, y compris dans les territoires métropolitains. C’est donc bel et bien un choix fort qu’assume le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires en validant ce choix du jury fait à l’unanimité au premier tour de scrutin. Un choix fort comme un geste en direction des territoires « à réparer », dans nos campagnes et dans nos grandes villes, en se tournant d’abord et avant tout vers l’habitant. Un sujet qui sera au cœur des Entretiens du Cadre de Ville, le 17 octobre 2023. Pas par hasard.

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Par Cadre de Ville
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