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Les assurances complémentaires santé et l’impact du 100 % santé : constats et perspectives

Publié le 16 novembre 2022

Depuis le 1er janvier 2022, la réforme est à 100 % déployée. Son impact risque de bouleverser profondément le marché des complémentaires santé. Il nous revient que certaines complémentaires santé connaissent une augmentation de coût et nécessitent des discussions avec vos différents partenaires. Nous avons rencontré les équipes expertes de Nexialog, cabinet de conseil en actuariat afin qu’ils puissent nous éclairer.

Pour rappel, ce dispositif consiste au remboursement intégral de certains appareils auditifs, lunettes de vue et prothèses dentaires par l’Assurance maladie et les complémentaires santé, sans reste à charge pour le patient. Décryptage avec le cabinet Nexialog.

Succès relatif pour la Cour des Comptes 

Déjà plus de 10 millions de Français en ont bénéficié depuis la première étape de sa mise en œuvre. C’est un succès pour le gouvernement même si la cour des comptes a soulevé des points d’attention. D’abord, la communication sur la réforme : seuls 53 % des Français en avaient connaissance en 2021 selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees).

Ensuite, les difficultés pour évaluer le coût de mise en œuvre de la réforme :  les magistrats financiers regrettent « l’absence de réel partage des informations disponibles entre le ministère, l’assurance maladie, les complémentaires santé et les professionnels » permettant de suivre ce coût, ainsi que « l’absence d’outil permettant de réguler la dépense ».

Une dérive des prestations supérieures à ce qui avait été anticipé

Côté complémentaire santé, après un coup de frein en 2020, les dépenses de santé ont atteint 226,7 milliards d’euros l’an dernier, en hausse de 7,9%, la plus forte augmentation des dépenses observée depuis 30 ans, selon un rapport de la Drees (Résultats des comptes de la santé (DREES), Les dépenses de santé en 2021, édition 2022)

Cette augmentation fait suite à une année 2020 atypique du fait de la crise sanitaire COVID-19 et à un effet de rattrapage sur 2021 ; mais pas seulement. Selon les données de la Mutualité française, le coût par personne a augmenté de 4,6 % au quatrième trimestre 2021 par rapport à la même période de 2020. De plus, les prestations sont en hausse au premier semestre 2022. Ainsi, une bonne partie de cette augmentation s’explique par le 100% santé.

Face à cette dérive des prestations et au besoin de restaurer les marges techniques, « les indexations en santé individuelle devraient se situer cette année entre 5 % et 7 %, et le taux pivot en santé collective devrait être entre 3% et 6% »Une indexation qui ne tient pas compte de l’évolution du PMSS au 1er janvier 2023 (environ 6% à cause de l’inflation et du rattrapage sur les dernières années).

La problématique des assureurs est d’anticiper le coût réel de la réforme, tant l’incertitude sur l’utilisation du 100 % santé par les assurés est forte. Nexialog établit 2 scénarios. Le premier est favorable : sur un portefeuille donné (en stock), l’évolution peut être limitée sur 2023 car le 100 % santé a engendré un effet d’aubaine sur 2021 et 2022. Le second scénario est plutôt défavorable : seuls 53 % des Français avaient connaissance de la réforme en 2021. Si ce ratio est le même sur un portefeuille, il est probable que la dérive augmente.

Une nécessité de faire évoluer nos modèles prédictifs 

La majorité des modèles prédictifs sont du type « coûts moyens fréquence » et repose sur l’analyse des données antérieures. Les modèles classiques peuvent présenter quelques limites car l’une des clés pour anticiper l’impact du 100 % santé se situe au niveau des nouvelles habitudes de consommation des assurés.

Le risque santé est complexe car plusieurs éléments difficiles à quantifier sont à prendre en compte lors du pilotage d’un produit. C’est le cas par exemple des biais comportementaux, comme :

  • Les phénomènes d’antisélection, notamment sur le risque dentaire qui a toujours été l’un des postes clés dans le choix d’une garantie santé.
  • L’adaptation de la consommation au niveau de la garantie : une personne modifie sa consommation selon le niveau de remboursement de sa garantie. Par exemple, la sensibilité au reste à charge. Plusieurs études, à l’instar de L’effet modérateur du reste à charge sur les dépenses de santé par Julien Rollet (2011), ont montré qu’il y a un lien fort entre le renoncement aux soins et le reste à charge. Le remboursement intégral de certains postes par le 100% santé peut donc inciter à la consommation notamment pour des assurés ayant peu de revenus.
  • Les variations de consommation selon les caractéristiques de la population couverte : les besoins des jeunes sont différents des actifs. Les non-cadres sont plus sensibles au renoncement aux soins. Pareil pour ceux qui habitent dans des déserts médicaux.
  • Les assureurs santé ont donc intérêt à faire évoluer leur mécanisme de pilotage en intégrant des analyses comportementales de leurs assurés. Il peut s’agir d’analyses sur le renoncement aux soins, de simulations de l’évolution des dépenses de soins avec le niveau de connaissance de la réforme par les assurés, de croisements de l’ouverture des cabinets dentaires avec l’évolution des dépenses. La data science peut être un allié intéressant car elle permet de traiter des données qualitatives.

En marge des résultats de ces analyses, les complémentaires peuvent activer d’autres leviers. D’abord, la possibilité de revoir et modifier les structures des offres actuelles (notamment en individuel et dans le petit collectif) afin de garder une logique tarifaire. Le point d’attention ici est l’écart de prestation entre les garanties paniers de soins, bas de gamme et celles au-dessus. Les fréquences des garanties bas de gamme sont les plus susceptibles d’augmenter. Leur prime pure peut donc se rapprocher des garanties au-dessus et créer un déséquilibre tarifaire voire une antisélection.

Enfin, il est envisageable de partir sur un scénario avec une hausse de la fréquence et prendre les devants. Les complémentaires ont donc intérêt à faire connaître la réforme, intensifier les réseaux de soins (notamment en dentaire) et investir sur la prévention selon https://www.nexialog.com/

Des éléments à prendre en compte pour celles et ceux d’entre vous qui seraient en pourparlers avec vos assureurs en complémentaire santé.

Bibliographie 

– Communication à la commission des affaires sociales du Sénat, La réforme du 100% Santé, juillet 2022

– UNOCAM, Baromètre 100% Santé Principaux résultats de l’année 2021, 2ème édition, juillet 2022

– LE BRIGAND T., Comment la réforme « 100% Santé » va-t-elle faire évoluer les équilibres techniques ?, 2019

– SICARDY G., Quelques impacts sous-estimés en complémentaire santé, 2020

 

 

Par Pierre-Charles POUGOUE
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