menu

Les capacités d’intervention foncière de la puissance publique au cœur de la lutte contre l’habitat indigne

Publié le 10 novembre 2023

Dans leur rapport sur la lutte contre l’habitat indigne, Mathieu Hanotin et Michèle Lutz mettent l’accent sur le volet foncier des interventions publiques. Ils proposent de créer une nouvelle DUP motivée uniquement par le traitement de l’habitat indigne et de sécuriser et élargir le recours à la DUP Vivien. D’autres propositions visent à changer d’échelle ou à étendre les prérogatives des acteurs publics engagés dans la lutte contre l’habitat indigne, notamment en inscrivant ces opérations « dans une logique de projet urbain ». Un projet de loi abordant de front les questions de l’habitat indigne et des copropriétés dégradées est en cours de préparation pour une présentation attendue début 2024.

Logo cadre de ville
Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.

« Faciliter l’intervention de la puissance publique lorsque celle-ci est rendue indispensable ». C’est l’un ou peut-être l’axe prioritaire de réforme identifié par Mathieu Hanotin, maire PS de Saint-Denis, et Michèle Lutz, maire LR de Mulhouse, dans leur rapport sur la lutte contre l’habitat indigne, remis lundi 23 octobre à Patrice Vergriete. Un rapport accueilli très favorablement par le ministre du Logement, qui a rappelé qu’un projet de loi sur l’habitat indigne et les copropriétés dégradées serait présenté début 2024, reprenant tout ou partie des 24 propositions formulées par les auteurs du rapport. « Le gouvernement partage avec la mission la nécessité de donner plus d’outils aux collectivités locales ou aux préfets », confirme le ministère, soulignant que « ce pouvoir d’agir passe notamment par la mise en place de procédures juridiques ou administratives plus adaptées ».

Chargés en mars 2023 d’une « Mission relative aux outils d’habitat et d’urbanisme à créer ou améliorer pour renforcer la lutte contre l’habitat indigne », Michèle Lutz et Mathieu Hanotin mettent notamment l’accent sur le volet foncier des interventions. Nombre des mesures qu’ils proposent visent en effet à « définir des cas spécifiques dans lesquels la puissance publique est contrainte de se rendre propriétaire de fonciers, et de faciliter les conditions et délais de cette maîtrise ».

Certains outils sont à créer, comme la DUP « Lutte contre l’habitat indigne », et d’autres sont à améliorer et renforcer, comme la DUP « Vivien », dont les conditions de recours doivent être clarifiées. Sans oublier les possibilités de portage des EPF et des EPFL, qu’il convient d’amplifier.

Plus de 500 000 logements indignes en France

Selon l’état des lieux dressé par l’Anah et le ministère, le PPPI (Parc privé potentiellement indigne) comprend entre 400 000 et 420 000 logements en métropole, auxquels il faut ajouter 100 000 logements en Outre-mer. Sur ce total, entre 200 000 et 210 000 logements sont occupés par leur propriétaire. Par ailleurs, le rapport estime que « 1 123 000 personnes, propriétaires occupants, vivent dans des copropriétés en difficulté, subissant un très mauvais fonctionnement, des impayés de charges nombreux et importants ou une absence de travaux d’entretien ». On voit ici le lien étroit qui unit les deux problématiques, les copropriétés en difficulté concentrant une part importante des logements indignes recensés en France.

Loin de s’améliorer, la situation a plutôt tendance à s’aggraver, comme le révèle l’enquête menée en 2022 par le Pôle national de lutte contre l’habitat indigne et la Direction générale de la Santé. Pour ne prendre que quelques chiffres, le nombre d’arrêtés d’insalubrité pris en 2022 par les préfets s’est élevé à 3 160, en hausse de 10% par rapport à 2021, et le nombre d’arrêtés de mise en sécurité pris par les collectivités s’établit à 2 216 en 2022, en hausse de 47% par rapport à 2021. Le rapport rappelle par ailleurs que les injonctions des représentants de l’État et des élus restent souvent lettre morte.

Une nouvelle DUP, reposant uniquement sur le traitement de l’habitat indigne

Partant du principe que « plus l’intervention corrective de la puissance publique se prolonge dans le temps, plus la situation des occupants risque de se dégrader » et rappelant que « l’allongement des délais d’intervention des pouvoirs publics conduit mécaniquement à une augmentation exponentielle des coûts de leur intervention », la mission propose d’accélérer les procédures, notamment via la création d’une DUP « Lutte contre l’habitat indigne ». Ce nouvel outil permettrait d’engager « une procédure d’expropriation de droit commun dont l’utilité publique reposera uniquement sur le traitement de l’habitat indigne », y compris lorsque le caractère irrémédiable n’est pas établi et qu’un bien n »est pas frappé d’interdiction définitive d’habiter.

La mission précise les modalités de mise en œuvre de cette DUP. Celle-ci viserait les immeubles frappés d’un arrêté global de traitement de l’insalubrité ou de mise en sécurité ordinaire et s’appliquerait « en l’absence de mobilisation des propriétaires », « avec prise de possession anticipée des lieux » ou encore « sans attendre d’avoir statué sur le projet urbain et la programmation », le projet pouvant « évoluer dans la durée sans générer de droit de rétrocession ». Un véhicule législatif sera nécessaire pour rendre cette disposition effective.

Rationaliser les critères de définition de l’interdiction définitive d’habiter

Dans le même esprit, la mission souhaite « sécuriser et élargir les conditions de recours » à la DUP « Vivien » pour l’expropriation des immeubles d’habitat indigne sous interdiction définitive d’habiter. Elle propose de « rationaliser les critères de définition de l’interdiction définitive d’habiter posés dans le Code de la construction et de l’habitation, trop complexes à mettre en œuvre eu égard aux situations rencontrées ». Une complexité source de blocage, comme à Bordeaux ou Saint-Denis, où il a fallu presque 20 ans pour traiter la situation d’immeubles en sortie d’insalubrité.

Outre la question de l’évaluation des coûts de réhabilitation ou de reconstruction neuve, la mission met le doigt sur une lacune du régime Vivien qui « ne s’applique pas aux lots à usages commerciaux, d’activité ou autre », entraînant de fait une inégalité de traitement entre propriétaire d’un même bien. Surtout, « les coûts d’acquisition élevés de ces lots principalement localisés en rez-de-chaussée grèvent la capacité d’intervention de la puissance publique ».

Pour y remédier, la mission recommande de préciser la méthode comparative des coûts, « harmonisée à l’échelle nationale », et d’indemniser les propriétaires de locaux commerciaux, d’activité ou autre » sur la seule base de la valeur foncière, et non plus sur la base de la valeur foncière et non vénale du bien, beaucoup plus élevée.

Inscrire les opérations de lutte contre l’habitat indigne dans une logique de projet urbain

La question de la valeur des biens est d’ailleurs un sujet central sur lequel la mission formule une autre proposition, visant cette fois à « instaurer une méthode nationale de décote pour l’évaluation des immeubles dégradés ». Il s’agit, argumente-t-elle, « d’objectiver la valeur de ces biens en fonction de leur dégradation et non seulement de la valeur du marché », cette nouvelle grille de décote devant toutefois être « adaptée aux territoires ».

D’autres propositions visent à changer d’échelle ou à étendre les prérogatives des acteurs publics engagés dans la lutte contre l’habitat indigne. La mission recommande notamment d’adapter les dispositifs RHI-THIRORI de l’Anah afin de « permettre un traitement à échelle d’îlot complet ». Il s’agit « d’inscrire les opérations dans une logique de projet urbain », par exemple en intégrant plus systématiquement le traitement des îlots dégradés dans les déclinaisons locales des programmes « Action Cœur de Ville » et « Petites Villes de Demain ». Chevilles ouvrières des opérations de lutte contre l’habitat indigne, les collectivités pourraient d’ailleurs voir leurs capacités d’intervention accrues, en bénéficiant de moyens d’ingénierie renforcés ou encore en se voyant offrir « la possibilité de vente à l’euro symbolique des immeubles confisqués par la justice ».

Enfin, Mathieu Hanotin et Michèle Lutz saluent « le modèle vertueux » des opérateurs déployés par les collectivités et l’État – SPLA, SEM, EPA, EPF, EPFL, CDC Habitat Action Copropriétés – qui suppléent les propriétaires privés lorsque cela s’avère nécessaire, en acquérant les biens dégradés et en portant les opérations de réhabilitation ou de reconstruction. Ces interventions présentent toutefois quelques limites, soulignent-ils, comme « l’exclusion de certaines typologies de biens de la mission de portage » ou « la durée de portage ». La mission propose notamment d’élargir les missions  des acteurs de type EPF, en autorisant « des durées de portage au long court, l’acquisition de sites occupés et le portage de lots en petite et moyenne copropriétés dans le cadre de projets de redressement ».

D’autres articles, publiés par Cadre de ville (accessibles aux seuls abonnés), peuvent vous intéresser :

PLF 2024 : création d’un nouveau dispositif zoné dénommé France Ruralités Revitalisation

Industrie verte : la loi est publiée

Île-de-France : vers une transformation du modèle spatial et immobilier de la filière logistique

Par Cadre de Ville
Top