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Caroline Cunisse et Philippe Schmit : « Dans les Outre-mer, les Epl peuvent contribuer à réenchanter et repenser l’aménagement »

Publié le 10 mai 2023

Interco’ Outre-mer rassemble les intercommunalités ultramarines autour d’enjeux communs tout en tenant compte des caractéristiques de chaque territoire. L’association a élaboré en 2022 un plan de mobilisation afin d’aboutir à un recueil de propositions, d’observations et d’alertes sur la problématique foncière. Ce dernier a été publié, fruit d’un travail concerté des intercommunalités des 5 DROM (Mayotte, La Réunion, Guadeloupe, Martinique et Guyane). Un webinaire a été organisé par la FedEpl le 14 mars dernier en compagnie de Caroline Cunisse, juriste, ancienne collaboratrice d’Interco’ Outre-mer, et Philippe Schmit, conseil-expert et fondateur d’Urba Demain, pour en aborder les grands axes. Entretien croisé.

Philippe Schmit et Caroline Cunisse (Photo DR).
Quels sont les principaux enseignements de ce recueil sur le foncier ultramarin ?

Philippe Schmit : Il est l’expression du terrain. Il rassemble les pistes de réflexions et d’actions telles qu’elles ont été exprimées par les élus locaux à l’occasion des réunions et rencontres organisées sur chacun des territoires ultramarins entre février et juin dernier. Elles ont été nourries par de nombreux échanges nombreux avec les acteurs du foncier et les cadres territoriaux. Le foncier est au cœur des préoccupations que ce soit dans le quotidien d’un élu local tant il est sollicité par les demandes urgentes des administrés (pour un logement ou pour le droit applicable à son terrain dans le PLU…) ou que ce soit dans les analyses à long terme tant est en jeu l’harmonie du développement des pays d’Outre-mer.  Si cette préoccupation sur le foncier est partagée par tous les élus de France, pour l’élu d’Outre-mer elle est davantage que dans l’hexagone un enjeu de société, de culture, d’organisation des acteurs publics, d’outils, de gouvernance… La problématique foncière y est davantage bloquante malgré les différents moyens développés par la puissance publique locale.

Caroline Cunisse : Les collectivités de Mayotte, La Réunion, de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane partagent dans l’ensemble les mêmes grands enjeux mais leur intensité ou leur acuité sont parfois contrastées. Dans ce recueil, des observations et propositions sont formulées sur la dimension culturelle et historique de la terre, le rôle et la place de l’État dans le pilotage foncier, les problèmes de titres de propriété, de fonctionnement des indivisions…, ce que nous appellerons le « désordre foncier », la connaissance et la formation, la planification et l’aménagement opérationnel.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles sont confrontés les territoires ultramarins en matière de foncier ?

C.C : Les difficultés sont d’ordre multiple. Elles peuvent toutes à la fois porter sur des enjeux d’organisation des différents pouvoirs publics et de la lisibilité de leurs actions respectives, de gouvernance, d’ingénierie, d’outils techniques, de spéculation et de coût, de propriétés publiques comme privées (la consistance des patrimoines publics n’est pas assez connue et un inventaire généralisé s’imposerait), de planification et de stratégie à long terme, d’observation… ou encore de droit ou de modalité d’accompagnement des collectivités. Le foncier a surtout en outre-mer une dimension sociétale et humaine avec un attachement à la terre d’un niveau tout particulier.

P.S : Cette problématique innerve tous les aspects de l’action publique et c’est en cela qu’il est un enjeu de premier ordre. Il est chahuté par tous les aspects. On parle foncier lorsque l’on parle des risques naturels ou de recul du trait de côte très présent en Outre-mer, on parle aussi foncier lorsqu’on évoque le foncier agricole ou encore le logement insalubre… S’il fallait trouver à résumer en un slogan le trait d’union à cette quarantaine de propositions, il pourrait être « pas d’efficacité sans considération ». Considération des populations et de leur attachement à la terre, des identités et particularisme locaux y compris climatiques, de l’histoire, des capacités à faire des collectivités locales, … Considérations des particularités ultra marines dans le droit et les stratégies nationales (comme par exemple les dispositions de la loi Climat et Résilience relatives au Zéro Artificialisation Nette -ZAN- dont l’application en Outre-mer sera particulièrement délicate si ce n’est impossible…).

Comment les Epl peuvent-elles s’inscrire dans cette dynamique pour améliorer la situation ? 

C.C : L’un des enjeux majeurs est d’inscrire le foncier dans des stratégies de long terme et de freiner les opérations conduites au coup par coup et responsables d’une très grande partie des dysfonctionnements des territoires ultramarins. Stratégie et opérationnel doivent se combiner de manière beaucoup plus évidente et c’est dans cette dynamique nouvelle que les Epl doivent s’engager et apporter leur concours. Les Epl peuvent participer au renforcement du dialogue local entre acteurs aujourd’hui unanimement jugé insuffisant. Les Epl ont en leur sein et dans leur culture (public-privé) beaucoup d’atouts pour jouer un rôle majeur dans ce nécessaire décloisonnement et faire bénéficier les collectivités de leur puissance en matière d’ingénierie. Comme tout opérateur, les Epl sont concernées par les problématiques foncières ultramarines. En amont des opérations avec la complexité de l’acquisition foncière (problématique de régularité des titres de propriété, dysfonctionnement des nombreuses indivisions… et problématique du coût de cette acquisition tant est forte spéculation). Dans la conception des programmes dont nombre d’observateurs soulignent souvent l’inadaptation au contexte local (concernant les opérations résidentielles, des élus locaux appellent à davantage mettre l’accent sur la notion « d’habitation » que sur celle de « logement » trop souvent pensé sur la base des critères occidentaux ou encore à dépasser la simple culture du chiffre…).

P.S : Les Epl peuvent contribuer à réenchanter et repenser l’aménagement, à l’aune des transformations des territoires. Elles peuvent encourager les prises de conscience des évolutions environnementales et de l’intensification des risques du fait du changement climatique… qui affectent les territoires. Les collectivités locales ont à renforcer la culture de l’anticipation sous l’effet par exemple de l’érosion côtière et du recul du trait de côte qui oblige à anticiper les enjeux futurs de « recomposition territoriale » rétro-littorale.

Retrouvez ci-joint le recueil « Enjeu foncier en Outre-mer – Expression des élus d’Interco Outre-mer« .

 

Visionnez le replay du webinaire (accessible uniquement aux personnes connectées) :

Accès refusé

 

 

 

 

Par Caroline ACOSTA
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