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Le casse-tête de la gestion de l’eau et de l’assainissement en Outre-mer

Publié le 13 décembre 2022

Réseaux vétustes et fuyards, coupures d’eau régulières, la situation de la Guadeloupe est critique depuis plusieurs années. Face à l’urgence et aux risques de santé publique, le syndicat unique pour la gestion de l’eau potable et de l’assainissement en Guadeloupe, réunissant toutes les strates de collectivités, a vu le jour en septembre 2021. La Guadeloupe n’est pas un cas isolé. Pour améliorer la gestion des services d’eau et d’assainissement en Outre-mer, l’État a mis en place en 2016 le plan Eau DOM et propose un suivi personnalisé sur 10 ans adapté à chaque territoire ultramarin. Dans ce secteur sensible, les Epl, qui permettent de mutualiser les moyens et rassembler les acteurs dans une seule structure, ont-elles une carte à jouer dans les territoires ultramarins ?

De gauche à droite : Stéphane Menu (animateur du débat), Serge-Eric Hoareau, Marcus Agbekodo et Gerald Negraud (Photo DR).

Qu’est-ce qui ne va pas, en Guadeloupe, dans la gestion de l’eau et de l’assainissement ? Gérald Negraud, directeur général adjoint technique du Syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe (SMGEAG), est en mission : « Le syndicat mixte de gestion et d’assainissement de Guadeloupe est récent car il  a été créé par loi 29 avril 2021, rénovant la gouvernance des services publics d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe », rappelle-t-il. « Depuis le 1er Septembre 2021, le syndicat a repris l’ensemble des missions du service public de l’eau potable et de l’assainissement collectif et non collectif sur l’ensemble de la Guadeloupe (excepté Marie-Galante). Deux nouvelles missions sont venues compléter ces compétences : la gestion des eaux pluviales urbaines et la défense extérieure contre l’incendie. C’est un outil qui vise à apporter une réponse à une crise majeure que nous connaissons ».

« Une véritable résilience du territoire se met en place »

Sur l’ensemble de son territoire, le SMGEAG assure quatre missions de service public pour 176 000 abonnés. Son DGA ne se cache pas la réalité : « Il faut reconnaitre que tous les prérequis et éléments nécessaires à la bonne mise en place de notre syndicat n’étaient pas forcément tous réunis lors de sa création, d’où notre difficulté financière au début de l’exercice. Or, le modèle économique est pourtant simple : la facturation de l’eau génère les recettes de fonctionnement du syndicat, encore faut-il être en mesure de facturer ce service à tout le monde. Aujourd’hui, le besoin le plus criant est de pouvoir investir massivement dans les ouvrages d’eau et d’assainissement car le retard pris sur ce secteur très important ». Ce syndicat mixte témoigne du pacte de confiance accordé par les élus : « Il y a une véritable volonté de faire en sorte que la situation puisse avancer car la population souffre profondément de cette situation. Une véritable résilience du territoire se met en place, liée à la volonté de pouvoir bénéficier d’un service public de qualité ».

72 % des stations de traitement ne sont pas conformes !

Créé le 16 avril 2006, l’Office de l’eau de Guadeloupe est un établissement public local à caractère administratif rattaché au Département de la Guadeloupe. Marcus Agbekodo, son directeur adjoint, en rappelle les quatre missions essentielles : « La préservation des iles aquatiques (principe de pollueur payeur pour la préserver), l’accompagnement des opérateurs (programmation et financement d’actions et de travaux), la sensibilisation et la formation des acteurs, enfin l’étude et le suivi des ressources en eau ». Les chiffres de l’Office mettent en exergue l’immensité du chantier à mener, notamment sur le plan de la conformité des stations d’épuration : « Les stations de traitement des eaux usées sont caractérisées par leur capacité épuratoire et sont évaluées en équivalent habitant (EH). Pour l’année 2019, 72 % des stations de traitement ≥ 2 000 EH n’étaient pas conformes. Cela représente 69 % du total des charges entrantes dans l’ensemble de ces stations ».

25 % des factures d’eau ne sont pas payées

En moyenne, les taux d’impayés sur les factures d’eau de 2019 s’élèvent à 25 % (hors Capesterre-Belle-Eau et les Saintes, et sans prise en compte des montants encaissés par le SIAEAG en 2020 sur les factures de 2019, ces données n’ayant pas été communiquées). Cela représente un obstacle important au bon fonctionnement des services d’eau et d’assainissement de Guadeloupe. En 2019, 96,6 % des eaux analysées respectaient les limites et références de qualité pour les bactéries. Sur l’ensemble des pesticides qui ont été analysés à la sortie des unités de potabilisation, seule la chlordécone a présenté de manière ponctuelle une non-conformité au niveau de deux usines de production d’eau potable du sud Basse-Terre.

« Il faudrait investir plus de 800 millions pour rattraper notre retard »

Comment l’Office de l’eau envisage-t-il sa complémentarité avec le syndicat mixte ? « Nous sommes en quelque sorte embarqués ensemble avec le syndicat. En Guadeloupe, il n’existe que deux opérateurs pour l’eau, on se doit donc de travailler ensemble », confirme Marcus Agbekodo. Le chemin sera long : « Lors de notre dernier engagement pour le dernier cycle 2022-2027, nous avons fixé le cap d’un bon état écologique de nos milieux écologiques. Mais on en est encore très loin. On a atteint le bon état de 17 % de nos milieux alors que l’objectif est de 43 %. Il faut être lucide, nous n’y arriverons pas. Dans l’immédiat, il faudrait investir plus de 800 millions pour rattraper notre retard ».

Une montée en compétence des élus est requise

L’Office français de la biodiversité (OFB) est un établissement public dédié à la sauvegarde de la biodiversité. Il est chargé de la protection et la restauration de la biodiversité, en métropole et dans les Outre-mer. Créé au 1er janvier 2020 par la loi du 24 juillet 2019, l’OFB est sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires et du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. « Nous sommes au cœur de l’action pour la préservation du vivant dans les milieux aquatiques, terrestres et marins », explique Jean-Michel Zammite, directeur Outre-mer de l’OFB. « Le chemin est droit mais la pente est raide, comme disait un ancien ministre. Nous avons encore beaucoup de difficultés à résoudre les problèmes. On parle de centaines de millions d’euros. L’argent est là mais sa consommation n’est pas possible compte tenu de l’ingénierie et de la capacité à faire. Pour s’en sortir, il faut une montée en compétence des élus ainsi qu’un accent mis sur la sensibilisation des usagers ; cela fait partie d’un panel de réflexions que nous avons au sein de l’OFB. Si aujourd’hui les répercussions de ces difficultés sont plus économiques que sanitaires, on commence toutefois à retrouver des maladies émergentes dans certains territoires comme en Mayotte, par exemple ».

A La Réunion, la pression démographique s’accentue

Serge-Eric Hoareau, président de la SAPHIR​ (Société d’Aménagement des Périmètres Hydroagricoles de l’Ile de la Réunion), n’est pas confronté aux mêmes difficultés : « II faut d’abord prendre en compte la temporalité de notre Epl car la SAPHIR a été créée en 1969. Elle existe depuis 53 ans. Contrairement à d’autres territoires comme la Guadeloupe, il  y a davantage une forme de prise de conscience de la part des politiques sur l’enjeu que peut présenter l’eau. Notre Epl est la gestionnaire unique de la ressource en eau d’irrigation et eau brute de La Réunion. La Saphir a développé son expertise dans l’ingénierie des ouvrages hydrauliques. Le 1er janvier 2017, la Société d’aménagement de périmètres hydroagricoles de l’île de La Réunion (Saphir) est devenue l’opérateur unique du Département pour la gestion globale de l’eau. Elle a désormais la charge de l’ILO (Irrigation du littoral ouest) et du périmètre d’irrigation de Champ-Borne, dans l’est. Ces dernières années, elle a produit, en moyenne, 60 millions de mètres-cubes d’eau, dont 20 millions de mètres-cubes destinés aux fermiers en eau chargés de la potabiliser ainsi que quelques clients industriels ». Un point de ressemblance avec la Guadeloupe ? « J’aurais tendance à évoquer l’insularité de nos territoires : quand il pleut, il pleut trop et quand il ne pleut pas, le besoin en eau devient plus que criant. J’ajouterai également l’importance de la pression démographique sur notre territoire, laquelle devient problématique aujourd’hui et accentue nos besoins en eau ».

En attendant, Suez propose ces UCD…

Luis Peinado-Villa, responsable du développement de la région Pacifique, Caraïbes et Amérique Latine du Decentralized Solutions Groupe Suez, rappelle ​que le groupe « intervient sur la partie traitement ». Et d’ajouter : « On a pris l’héritage d’une belle société qui s’appelle Degrémont, en modularisant et en rendant compact les traitements classiques. Une réflexion s’est ensuite construite autour de la nécessité de rendre ces technologies de traitement plus accessibles à nos clients collectivités. On a créé les UCD, les unités compactes Degrémont, dont l’objectif est de proposer des solutions rapides, modulaires et très abordables pour le traitement d’eau potable et d’assainissement. Les UCD sont des usines de production d’eau potable compactes, préfabriquées, transportées dans des conteneurs métalliques et qui possèdent toutes les technologies des usines traditionnelles construites en béton. Depuis les 25 dernières années, c’est un historique de plus de 260 unités venant s’ajouter aux unités construites par Degrémont. En terme de chiffres, c’est 1 300 000 m3 par jour d’eau produite par ces unités », conclut-il.

Par Camille BOULAT
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