menu

Le référé « liberté fondamentale » s’invite en droit de l’environnement

Publié le 21 octobre 2022

Le droit à un environnement sain et équilibré devient une liberté fondamentale. Face à l’acuité des enjeux environnementaux, le Conseil d’Etat dessine de nouvelles lignes de forces au travers des contentieux qui lui sont soumis. Après avoir enjoint au gouvernement de prendre les mesures utiles pour tenir ses engagements de réduction de gaz à effet de serre, voici que la Cour suprême décide, plus en amont du processus judiciaire, d’ouvrir la voie du référé liberté à la protection du droit à un environnement sain et équilibré, via un arrêt du 20 septembre 2022. Laetitia Santoni, avocate associée chez Fidal, explique le potentiel et les limites de cette décision, tout en la mettant en perspective avec des enjeux voisins, comme le ZAN, et d’autres courants prétoriens.

Logo cadre de ville
Article proposé par Cadre de Ville, dans le cadre d’un partenariat éditorial avec la FedEpl.
Cadre de Ville : Y aura-t-il un avant et un après 20 septembre 2022 pour le contentieux de l’environnement ?

Laetitia Santoni : Bien avisé celui qui saura prédire si la décision du 20 septembre 2022 (n° 451129) – par laquelle le juge des référés du Conseil d’État consacre que le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », proclamé par la Charte de l’environnement depuis 2005, constitue une liberté fondamentale permettant de bénéficier de la procédure de « référé-liberté fondamentale » prévue à l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (CJA) – aura ou non une destinée extraordinaire. Car c’est avant tout une valeur symbolique et solennelle que porte cette décision, qui érige (enfin), après le Conseil constitutionnel qui avait reconnu que la protection de l’environnement constituait un objectif de valeur constitutionnelle (décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020), le « droit à l’environnement » comme une liberté fondamentale. On peut toutefois penser que l’enjeu moral et vertueux d’un recours sur ce thème conduira certains requérants, que ce soient des particuliers, mais surtout des associations de protection de l’environnement, à rechercher une condamnation ayant valeur d’exemple. Mais, il ne s’agit pas du seul outil à leur disposition, le référé ayant particulièrement le vent en poupe en droit administratif ces dernières années. Surtout, le référé liberté ne sera pas nécessairement toujours le plus efficace.

Certes, cette procédure est, de prime abord, séduisante pour les requérants compte tenu de sa souplesse de mise en œuvre : elle n’est pas subordonnée à l’existence d’une décision administrative, c’est-à-dire qu’elle peut être engagée sur le simple constat d’une situation de fait, et viser donc des actions, mais aussi des abstentions d’une personne morale de droit public ou d’un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public. Elle est également très rapide : le délai de jugement est de 48h en principe, et se situe, en pratique, entre 3 et 5 jours. Sur la forme, elle n’est pas non plus subordonnée à l’exercice en parallèle d’un recours au fond comme le référé suspension, ni même d’un RAPO (recours administratif préalable obligatoire), et ne nécessite pas non plus l’assistance d’un avocat.

Enfin, le juge est totalement libre des mesures qu’il peut ordonner. Aux termes de l’article L. 521-2 du CJA, il peut ainsi « ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale » : ni la nature ni le contenu de ces mesures n’ayant été limité, rien ne restreint le champ de ses possibilités. Va donc nécessairement s’ouvrir un temps pendant lequel des requérants « testeront » les limites de cette procédure, néanmoins très encadrée.

CdV : Pourquoi les critères d’application du référé liberté restreignent néanmoins cette nouvelle voie contentieuse ?

LS : Pour répondre à votre question, je citerai Damien Botteghi, Président adjoint de chambre au Conseil d’Etat, dont les propos sont repris par le rapporteur public dans ses conclusions sur la décision du 20 septembre 2022 : « Le référé liberté, ce n’est pas n’importe quelle urgence, ni n’importe quelle illégalité ».

Si ce recours est tentant pour les raisons que je viens d’exposer, il reste cantonné à des situations exceptionnelles. La preuve en est avec cette décision. Au cas d’espèce, des biologistes, propriétaires d’une haie de cyprès abritant des espèces protégées qu’ils avaient recensées, attaquent, dans le cadre d’un référé-liberté, le département du Var en raison de l’atteinte à cette haie par les travaux de création d’une piste cyclable, pour demander la suspension des travaux. Or, le département qui avait engagé ce projet depuis plus de 5 ans, avait préalablement réalisé un diagnostic environnemental et conclu qu’aucun enjeu de conservation notable n’avait pu être identifié.

Le Conseil d’Etat rejette la requête notamment pour ce motif, en se fondant sur l’ampleur limitée des travaux et compte tenu des actes précédents de l’administration, non contestés. Ni l’urgence particulière du référé-liberté, ni la gravité des atteintes n’étaient donc constituées. Le rapporteur public évoquait d’ailleurs qu’au regard de ce critère de la gravité de l’atteinte, la seule présence d’espèces protégées, dans un espace restreint menacé par une destruction, pourrait ne pas suffire. Il faudrait justifier de l’incidence de cette destruction sur l’équilibre et la conservation de l’espèce. Pour recourir à ce référé liberté, l’efficacité et la rapidité de la mesure qui peut être prise est également en débat. Il convient, en effet, de démontrer que des mesures de sauvegarde nécessaires puissent être utilement prises dans un très bref délai et qu’elles puissent donc produire un effet immédiat de nature à mettre fin à l’atteinte invoquée, ou à la prévenir.

En miroir, il ne relève pas de l’office du juge du référé liberté de prononcer des mesures qui nécessitent une action sur le long ou moyen terme, pour laquelle le recours au juge du fond reste nécessaire. Enfin, la question de savoir quels sont les titulaires de ce droit était aussi posée, c’est-à-dire le sens attaché au terme « chacun », visé à l’article 1er de la Charte de l’environnement, pour caractériser la nature de l’atteinte à l’environnement protégée dans ce cadre. Le sujet de la protection reste ce « chacun » et non « toute personne » (comme figurant à l’article 2 de la Charte) ou même « l’environnement » en tant que tel. C’est, en réalité, le droit de vivre dans un environnement équilibré qui acquiert la qualité de liberté fondamentale. Le Conseil d’Etat restreint donc l’accès au prétoire à « toute personne justifiant, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou des intérêts qu’elle entend défendre […] ».

CdV : cette décision était-elle prévisible ?

LS : Oui, même si elle s’est, sans doute, faite un peu attendre, faute d’occasion claire pour le Conseil d’Etat d’avoir eu à se prononcer.

Quelques rares décisions de tribunaux administratifs (notamment tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, ord., 29 avril 2005, nos 0500828, 05008829 et 0500830) avaient, tout au plus, permis de nourrir un intense débat doctrinal. Cette ordonnance se fait, en réalité, l’écho des conclusions de la « mission flash » sur le référé environnemental des députées Moutchou et Untermaier, réalisée à l’occasion de la loi Climat et Résilience.

Pour mémoire, la proposition reprise par amendement d’inclure expressément au sein de l’article L. 521-2 du CJA le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », comme liberté fondamentale éligible à ce référé, avait été repoussée lors de la discussion à l’assemblée. Il semble que c’était plus le choix d’une inscription expresse par détermination de la loi qui avait motivé la réticence du gouvernement. Force est de constater qu’il n’y a pas eu à attendre longtemps pour que le Conseil d’Etat procède à cette consécration par la voie prétorienne ! Il ressort également des conclusions de cette mission flash, mais aussi de la décision du Conseil d’Etat, que le référé liberté fondamentale constituera un outil supplémentaire de la boite à outils de l’urgence en matière environnementale, mais qu’il ne doit pas conduire à en oublier les (nombreux) autres dispositifs de protection.

Le Conseil d’Etat relève d’ailleurs au point 4 de sa décision, que pour prévenir ou faire cesser une atteinte à l’environnement dont il n’est pas sérieusement contestable qu’elle trouve sa cause dans l’action ou la carence de l’autorité publique, le juge des référés peut, en cas d’urgence, être saisi sur différents fondements : l’article L. 521-1 du CJA (référé-suspension classique) ou, le cas échéant, sans qu’aucune condition d’urgence ne soit requise, les articles L. 122-2 et L. 123-16 du Code de l’environnement (référés spéciaux en l’absence d’étude d’impact ou en cas de conclusions défavorables du commissaire-enquêteur), afin qu’il ordonne la suspension de la décision administrative, positive ou négative, à l’origine de cette atteinte, ou encore l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, afin qu’il enjoigne à l’autorité publique, sans faire obstacle à l’exécution d’une décision administrative, de prendre des mesures conservatoires destinées à faire échec ou à mettre un terme à cette atteinte (référé-mesures utiles). Aussi attractif que soit le référé liberté, sa vocation reste donc particulière, et les conditions posées pour l’actionner très exigeantes. L’utilisation de cette procédure, en lieu et place d’un autre outil, pourrait par conséquent conduire à « doucher » les espoirs de nombreux requérants.

Ainsi, lorsque la situation contestée trouve son origine dans une décision administrative, il peut être plus logique et efficace d’obtenir satisfaction par la voie du référé-suspension. On peut d’ailleurs relever que le précédent jurisprudentiel souvent cité de la décision de Châlons-en-Champagne de 2005 avait également donné lieu à un référé suspension le même jour, sur le fondement plus classique de l’article L. 521-1 du CJA.

CdV : Quelles sont les autres décisions marquantes rendues récemment par le Conseil d’État en matière d’environnement ?

LS : On ne peut que constater que, sous l’influence des acteurs de la société civile, le juge administratif évolue sur les enjeux environnementaux et climatiques, et contribue tout autant que le législateur à la création des outils qu’ils méritent, qu’il s’agisse de sujets d’urgence ou de fond.

Alors que l’arsenal pénal semble privilégié par le législateur, comme l’atteste la loi du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée (création de la convention judiciaire d’intérêt public, des pôles judiciaires spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement, des tribunaux judiciaires spécialisés en matière de préjudice écologique et de responsabilité civile environnementale, ou encore alignement des pouvoirs des inspecteurs de l’environnement sur les officiers de police judiciaire) et, plus proche de nous, la loi Climat, qui instaure le délit d’écocide, on constate un renforcement du contrôle a priori devant le juge administratif en matière environnementale. Celui-ci formulant des injonctions pour contrôler le respect d’objectifs qui ne peuvent être atteints que par la mise en œuvre d’un ensemble de politiques publiques.

Sur ce sujet plus spécifique et novateur du contrôle effectif de la lutte contre le changement climatique, c’est d’ailleurs devant le juge du fond que les requérants ont mis en œuvre leur recours en responsabilité (« Affaire du siècle ») et en excès de pouvoir (« Affaire Grande Synthe »), dès lors que l’objectif était d’obtenir des changements de fond de l’Etat lui-même.

Dans l’Affaire du siècle, le juge administratif reconnaît que l’État est responsable du préjudice écologique résultant du non-respect de ses engagements en matière de lutte contre les gaz à effet de serre (TA Paris, 3 février 2021, n° 1904967), puis, enjoint à l’État de réparer les conséquences de sa carence en matière de lutte contre le changement climatique, de façon précise, la réparation devant être effective au 31 décembre 2022 (TA Paris, 14 octobre 2021, n° 1904967).

Dans l’affaire Commune de Grande-Synthe, le Conseil d’État demande au Gouvernement de justifier que la trajectoire de réduction des émissions de GES à horizon 2030 pourra être respectée (CE, 19 novembre 2020, n° 427301). Après une nouvelle audience publique, le Conseil d’État annule le refus implicite de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de GES produites sur le territoire national (CE, 1er juillet 2021, n° 427301). Le 4 mai 2022, le gouvernement a d’ailleurs publié des éléments de sa réponse au Conseil d’État, indiquant les mesures prises par le Gouvernement depuis juillet 2021 afin d’assurer l’alignement de la France sur ses objectifs climat.

On peut également souligner que ce nouveau « contrôle de la trajectoire », tel qu’il est qualifié notamment par le vice-président du Conseil d’Etat, aura possiblement un autre domaine d’expression dans le cadre du contrôle de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN), mis en place par la loi Climat.

D’autres articles, accessibles seulement aux abonnés de Cadre de Ville, peuvent vous intéresser :

L’Assemblée nationale veut introduire plus de cohérence et de lisibilité dans le déploiement des ZFE

Toulouse Métropole : Europolia lance un AMI « urbanisme temporaire » à Grand Matabiau

Les Entretiens du Cadre de Ville en pointe sur les transitions de l’urbanisme

Par Cadre de Ville
Top