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Gabrielle Halpern : « Les Epl hybrident les approches et nous font sortir de nos cases »

Publié le 21 septembre 2022

Auteure de l’essai « Tous centaures ! Eloge de l’hybridation » (Le Pommier, 2020), Gabrielle Halpern voit l’hybridation comme la tendance majeure du monde à venir. Grand témoin du Congrès des élus des Epl des 4, 5 et octobre 2022 à Tours, la philosophe donnera une conférence au cours de la plénière politique d’ouverture intitulée « L’économie mixte, moteur hybride des transitions » (5 octobre, 16h). Elle y livrera son analyse de la société ainsi que son regard sur l’économie mixte, qu’elle voit comme un exemple d’hybridation.

Gabrielle Halpern (Photo DR).

Gabrielle Halpern a travaillé au sein de plusieurs cabinets ministériels, avant de participer au développement de start-ups et de conseiller des entreprises et des institutions publiques. Elle possède également une formation en théologie en exégèse des textes religieux. Dans son ouvrage, elle défend la thèse selon laquelle la société est marquée par un phénomène d’hybridation accélérée qui touchent de nombreux domaines de notre vie, aussi bien au niveau professionnel que personnel. Parallèlement, la transition écologique et sociale implique une profonde mutation de notre société associant, sur chaque territoire, les acteurs politiques, économiques, sociaux et environnementaux. Dans ce contexte, l’adaptation de l’action publique à l’hybridation du monde deviendrait une nécessité pour s’affranchir des barrières et créer de nouveaux modes de faire. Relevant à la fois du droit public et du code de commerce, associant élus, dirigeants et partenaires, les Entreprises publiques locales (Epl) portent dans leur ADN un mode d’action singulier en phase avec le monde actuel qui pourrait bien en faire « le moteur hybride des transitions ».

La conférence de Gabrielle Halpern sera suivie d’une table ronde au cours de laquelle deux élus, une directrice générale d’Epl et un partenaire historique échangeront  sur le rôle et la place de l’économie mixte dans notre société. Elle réunira :

  • Syamak Agha Babaei, 1er adjoint à la Maire de Strasbourg et Vice-président de la FedEpl;
  • Jean-Pierre Gorges, Maire de Chartres et Président de la communauté d’agglomération Chartres Métropole ;
  • Claire Guihéneuf, Directrice Générale de Brest Métropole Aménagement (Sem et Spl);
  • Olivier Sichel, Directeur général délégué de la Caisse des Dépôts et Directeur de la Banque des Territoires.

La plénière sera ouverte par le Maire de Tours, Emmanuel Denis tandis que le Président de la FedEpl, Patrick Jarry, clôturera les débats avant une intervention de la Ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales, Caroline Cayeux (sous réserve).

Entretien avec Gabrielle Halpern pour comprendre en quoi l’hybridation peut réenchanter le monde.

Les Entreprises publiques locales entrent-elles dans le champ de ces leviers d’hybridation, concept central de votre pensée ?

Je définis l’hybridation comme l’idée de faire un « mariage improbable », c’est-à-dire comme le fait de créer des ponts entre des choses, des métiers, des générations, des compétences, des droits, des matériaux, des activités, des secteurs, qui a priori n’ont pas grand-chose à voir ensemble, voire qui pourraient sembler contradictoires, mais qui, réunis, vont donner lieu à quelque chose de nouveau : un tiers-lieu, un tiers-secteur, une tierce-économie, un tiers-modèle, un tiers-matériau… De nouveaux mondes, en somme ! L’idée d’hybridation remet en question les frontières artificielles que nous avons créées entre les mondes. Les entreprises publiques locales constituent, en ce sens, un exemple très intéressant d’hybridation, en créant des ponts entre des mondes qui peuvent sembler éloignés, – le monde public et le monde privé -, et en donnant lieu à une nouvelle réalité, à un nouveau modèle… Hybride ! Nous pouvons bien parler ici d’hybridation, – et non de fusion, de juxtaposition ou d’assimilation d’un monde par un autre –, puisqu’il y a bien « métamorphose réciproque » entre les mondes. Par ces ponts créés entre le monde public et le monde privé, les entreprises publiques locales hybrident d’une certaine manière des cultures, des droits, des codes, des méthodes, des approches, et nous font sortir ainsi de nos cases.

En quoi l’hybridation peut-elle être une source d’espoir face à un monde en crise ?

Nous ne nous en rendons pas compte, mais nous passons nos journées à tout ranger dans des cases : nos amis, nos collègues, nos clients, nos territoires, nos entreprises, nos administrations, nos concurrents, notre métier, les situations auxquelles nous sommes confrontées et les personnes que nous rencontrons. Notre cerveau s’est transformé en usine de production massive de cases et en agissant de la sorte, nous passons complètement à côté de la réalité. La crise que nous traversons n’est pas d’abord économique, financière, sociale, écologique, institutionnelle, territoriale ou politique ; ce que nous vivons, c’est avant tout une crise de notre rapport à la réalité. En rangeant tout et tout le monde dans des cases, nous fabriquons des silos qui fracturent notre société. Un exemple frappant, si vous lisez les programmes politiques des candidats, – aux élections locales ou nationales -, vous constaterez qu’il s’agit de programmes politiques catégoriels. Il y a « ma petite mesure pour les jeunes », « ma proposition pour les artisans », « ma mesure pour les personnes âgées »… Le corps citoyen est divisé en morceaux et un programme politique catégoriel, – lorsque le candidat est élu -, se traduit en politiques publiques catégorielles qui renforcent, voire créent les fractures de notre société. On ne peut pas penser la banlieue sans le cœur de ville, les jeunes sans les personnes âgées, l’économie sans la société, la technologie sans l’artisanat, sauf à créer des clivages.

L’hybridation que j’appelle de mes vœux – et qui ne constitue pas pour moi un simple travail de recherche en philosophie, mais un véritable projet de société -, vise à briser ces cases, ces frontières absurdes et à créer de nouveaux liens.

Comment lutter contre le déclinisme ambiant, ce sentiment global que le monde s’est déjà effondré et qu’il ne sert plus à grand-chose de résister ?

L’époque que nous vivons est difficile et nous pourrions en être désespérés… Mais nous pouvons aussi prêter attention à des petits signaux faibles, qui, eux, peuvent donner des raisons d’espérer ! Oui, il y a des signaux faibles d’hybridation autour de nous qui témoignent du fait que nous sommes en train d’apprendre à voir le monde autrement qu’au travers de cases. Du fait de la prise de conscience écologique, la case « ville » explose, avec la végétalisation croissante, les fermes et les potagers urbains, dans une hybridation entre la Nature et l’urbanisme. De nouvelles manières d’habiter s’installent avec le coliving où l’on mutualise une buanderie, une chambre d’amis, une cuisine ou encore une voiture à l’échelle d’un immeuble ; des écoles rurales transforment leur cantine en brasserie pour tout le village et ouvrent leurs portes aux personnes âgées pour leur apprendre à se servir d’un ordinateur. Des gares se transforment en musée pour donner au plus grand nombre l’accès à l’art ; tandis que des pianos sont installés dans des magasins et des crèches dans des maisons de retraite… Nos lieux, nos matériaux, nos métiers, nos secteurs, nos territoires s’hybrident de plus en plus et il n’appartient qu’à nous de faire de ces signaux faibles des signaux forts, afin que l’hybridation puisse réellement devenir la grande tendance du monde qui vient !

 

Par Tiéfaine CONCAS
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