menu

Financer autrement

Publié le 19 novembre 2012

Au moment même où le ministre de l’Economie et des Finances déclarait à Dijon que « les besoins de financement des collectivités locales, estimés entre 17 et 18 milliards d’euros, devraient être couverts sans trop de difficultés en 2013 », le 5e Congrès des Entreprises publiques locales débattait le 8 novembre en séance de clôture sur thème « Financer autrement » les projets publics portés par les territoires et leurs outils.

 Frédérique Bonnard Le Floch', présidente de Brest Métropole et de séance, explique que le « credit crunch », le grand effondrement de l'accès au crédit redouté par tous, ne s'est pas produit. Elle estime l'enjeu d'un autre ordre : celui de l'intelligence mutuelle. Durant ces dernières années, poussée par la traduction au niveau local de la doctrine d'Etat de compétition-compétitivité, la France s'est couverte d'équipements publics financés par une dette quasi-indolore. Encouragés par l'abondante mise sur le marché de produits financiers structurés, élus, dirigeants d'Epl et banquiers ont bâti leur croissance sur le crédit facile et peu cher. Il leur faut à présent revenir à des fondamentaux qui paraissent, par contraste, d'un inquiétant malthusianisme compte tenu des enjeux d'attractivité que doivent plus que jamais relever les territoires.Que disent les banquiers ? Jean-Michel Royo, directeur commercial Secteur public du Crédit mutuel Arkea, rappelle que les règles européennes de Bâle III les obligent à présent à ne prêter que l'argent qu'ils ont, et à mettre en face des crédits accordés les encours correspondants : fonds de long terme en face des prêts à long terme, notamment. Et c'est là que le bât blesse. Stéphanie Renault, responsable des marchés secteur public et économie sociale au Crédit Agricole SA, souligne la difficulté pour les banques de continuer à faire leur métier de transformateurs de dépôts à court terme des clients en prêts à moyen-long terme. Henri Fournial, directeur du marché Epl et logement social de la BPCE, affirme que, malgré ces contraintes, les banques parviennent à dégager des enveloppes importantes pour les projets publics, enveloppes qui ne sont d'ailleurs pas toutes consommées. Elisabeth Viola, directrice régionale de la Caisse des dépôts, vient quant à elle confirmer que la Caisse dispose de lignes conséquentes pour le financement long terme (sous forme de prêts Gaïa pour le foncier principalement), que la nouvelle banque formée avec la Banque Postale va commencer à prêter entre 1 et 5 milliards à moyen-long terme dès 2013, et qu'elle agit toujours comme investisseur de haut de bilan pour les Epl, avec le renforcement de leurs fonds propres comme objectif principal.L'argent existe nous dit-on. Alors d'où viennent les difficultés ? Du fait que les banques prêtent moins, certes, mais surtout qu'elles prêtent autrement.Bref, il s'agit ni plus ni moins que de calibrer les opérations pour qu'elles soient comprises, évaluées et quotées selon les critères généraux qui s'appliquent déjà dans le secteur banal, ou de démontrer à la Caisse des dépôts leur intérêt absolument stratégique pour le développement du territoire afin qu'elle puisse concevoir une ingénierie d'investissement/de financement adaptée. Mais traduire les opérations publiques dans le langage des marchés financiers ne s'applique pas qu'au financement d'opérations précises. Cette nouvelle exigence se fait jour également dans le domaine du financement global des collectivités et des Epl.Pour preuve, les expérimentations de désintermédiation menées récemment. Un groupe de collectivités, dont Brest Métropole Océane, a ainsi émis une émission obligataire conjointe réussie. Stéphanie Renault, qui en a assuré l'ingénierie bancaire, tempère néanmoins l'ardeur qui pourrait naître de cette première expérience positive : le processus est parfaitement maîtrisé techniquement, mais il est lourd, réservé à des besoins très importants, et finalement relativement coûteux si l'on ne souhaite pas passer par les fourches caudines des agences de notation – l'évaluation du risque par des investisseurs qui ne font pas la différence entre une opération publique ou un autre produit obligataire, étant par conséquent pénalisant. De plus, on ne peut pas faire appel à cette épargne autant que de besoin, compte tenu de la lourdeur du processus et du peu d'investisseurs potentiellement intéressés par ces produits.En revanche, l'émission obligataire groupée pourrait s'appliquer à un bloc collectivité + Epl dans le cadre d'une très grande opération. Une étude concrète est en cours avec l'aide de Pierre Bejjaji du cabinet Stratorial sur une opération d'aménagement à l'échelle d'une métropole. Mais là encore l'ingénierie financière bancaire en amont, pour lancer l'émission, et en aval de cette dernière, afin de ne pas mobiliser tout de suite les dizaines de millions d'euros et de ne pas avoir à les rembourser en bloc, mais au fur et à mesure des besoins et de leur utilisation, aurait un coût global assez élevé au final. Mais pourquoi pas si cela permet d'accéder au volume d'argent nécessaire ? L'argent devient cher, et il semble que cela ne puisse être contourné.L'argent est cher pour une autre raison, connexe à sa rareté : la consolidation maastrichienne des dettes rend de plus en plus difficile la garantie publique des opérations à financer. Pierre Moscovici a ainsi exclu que l'Etat accorde sa garantie à une agence de financement des collectivités locales, pour éviter d'augmenter la dette souveraine française. L'AFIL a démontré qu'elle pouvait fonctionner sans cette garantie, c'est pourquoi Jean Deysson, chargé de mission de l'Association de préfiguration de l'Agence de Financement des Collectivités Locales auprès d'Olivier Landel  s'est montré relativement confiant concernant sa création prochaine dans le message qu'il a fait transmettre par son collaborateur à la tribune. Cette agence ne concerne pas pour l'instant les Epl.Néanmoins, ces questions de la garantie, ou de la consolidation maastrichienne, de l'évaluation du risque, sont au coeur des possibilités futures d'accès aux marchés. Afin de rétablir une certaine injustice, Dominique Adam, directeur administratif et financier de la Semapa, a conduit une discussion fructueuse avec la Banque de France afin que les Epl soient un peu mieux notées. Un groupe de travail a été constitué en son sein. Pourtant, il va être difficile pour la BDF de s'écarter de ses grilles d'évaluation strictement comptables. Difficile de prendre en compte qu'une Sem d'aménagement a un capital dimensionné à hauteur de son fonctionnement, c'est-à-dire à hauteur d'une PME, mais qu'elle emprunte à hauteur de ses opérations, c'est à dire à hauteur d'une collectivité ! « J'ai 10 au bilan, j'emprunte 900 » se traduit par la mention d'un risque de gestion maximum, alors même que des flux futurs (commercialisation des produits) viennent abonder les recettes et que les collectivités accordent largement leur garantie à ces opérations, qui ne sont au risque du concessionnaire que pour une petite partie… Tous les banquiers, notamment mutualistes fortement ancrés dans les territoires, rappellent pour leur part que leur évaluation est faite « à dire d'expert », c'est-à-dire qu'elle intègre heureusement des notions extra-comptables.Cette notion d'opération à risque est au coeur des discussions actuelles du groupe de travail. Les banquiers pensent qu'ils pourraient plus facilement mobiliser l'argent du marché, notamment celui des investisseurs de produits assuranciels, s'ils pouvaient afficher une garantie à 100 % des opérations. Les collectivités ne pourront demain peut-être plus accorder la garantie maximale à 80 % qu'elles donnaient naguère. Que faire ? Et si les Epl d'aménagement notamment se garantissaient elles-même ? Après tout, la CGLLS le fait pour les opérations de logement social depuis des années. Pourquoi ne pas envisager un tel fonds mutualisé pour garantir les opérations publiques d'aménagement portées par les Epl ? Tout reste à étudier, mais cela donne une idée des débats passionnés et passionnants du groupe de travail financer autrement.Ce dernier est appelé à se renforcer après le succès de la plénière de clôture : de nombreux candidats se sont faits connaître pour y participer. Parce que finalement, financer autrement, c'est être intelligent ensemble au service des territoires : intelligence mutuelle pour mieux se comprendre, donc mieux s'apprécier (y compris mieux noter/quoter les risques), donc mieux dessiner ensemble les opérations publiques de demain.

Pour participer au groupe de travail Financer autrement : contact Bernard Védrenne

Par Bernard VEDRENNE
Top